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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


La cuisine dans une ferme du Périgord en 1960

Publié par Bernard Stéphan sur 4 Février 2024, 10:09am

Catégories : #Ethno-gastronomie, #Traditions rurales, #mémoire rurale

La cuisine de ferme vers 1960... J’évoque ici la gastronomie rustique d’une ferme du pays Lindois (près de Lalinde en Dordogne) début des années 1960. Date sciemment choisie car il n’y avait pas encore l’eau courante, ni le frigidaire, deux éléments qui ont pesé dans l’évolution de la cuisine pour la moderniser.


L’eau devait être collectée à la fontaine du village et la fraîcheur était à rechercher dans la pénombre d’une cave ou grâce exceptionnellement à des pains de glace achetés à la foire de Lalinde. On comprendra donc, qu’hors de la belle saison où les deux potagers étaient les uniques pourvoyeurs de légumes frais, la cuisine faisaient appel aux légumes secs, salaisons et viandes confites. Jusqu’aux œufs des deux grandes volières conservés dans un lait de chaux pour les temps de pénurie de pondeuses.
La ferme dont je vous parle vivait avec trois grands assolements : les vaches laitières, la vigne et le tabac. Il faudrait ajouter les châtaignes en automne, les prunes qui étaient séchées au four de la maison, les trois cochons pour les besoins des charcuteries familiales, de même les nombreuses volailles avec poules et poulets, un troupeau de canards à engraisser et une belle compagnie de pintades.
Les confitures omniprésentes. Quand sonnait le réveil, à la pointe du jour, le petit déjeuner, appelé le déjeuner, se résumait à un café au lait et des tartines de pain trempé. Avec le lait riche en crème presque toutes les fermes barataient leur beurre. Le café était un mélange de café et de chicorée. Vers 8 heures la maisonnée
s’attablait pour le casse-croûte qui pouvait réunir des journaliers extérieurs à la famille, des artisans de passage ou même une parenté ou un voisin venu pour aider aux travaux. Soupe trempée réchauffée, œufs au plat, sardines à baril, sanguette sautée à la poêle, grattons de porc, grillons de canards, pâté du cochon de la maison, salade cuite, caillade du lait du troupeau avec confiture en constituait la base.
Les nombreux arbres fruitiers plantés dans les vignes (pruniers, pommiers, poiriers) et aussi une importante culture de melons d’Espagne offraient une grande production de confitures.
Le dîner du milieu de journée. Le repas suivant arrivait vers 13 heures ou 13h30 et il s’appelait le dîner, certaines fermes l’appelaient « la collation ». C’était souvent une cuisine de ragouts mijotés, les « plats en sauce ». Si l’entrée était une soupe, le plat principal épousait la saison des productions familiales. La volaille rôtie était reine, souvent accompagnée de tranches de pomme de cèleri ou de tiges de cèleri branche
cuites au jus.

Retour de chasse à la perdrix, en Périgord, en 1963. (Ph. archives BS)
Retour de chasse en 1963. (Ph. BS)


Grâce aux chasseurs de la maisonnée, à l’automne, civets de lièvre, lapins de garenne en persillade, salmis de palombes, n’étaient pas rares. Civets et salmis étaient concoctés avec le vin rouge produit avec les raisins des vieilles vignes replantées après la première guerre mondiale sur d’anciens vignobles oubliés depuis la crise du phylloxéra des années 1880. A la saison des potagers les tomates et pommes-de-terre farcies, les jardinières de petits pois accompagnant des saucisses confites, étaient quelques-uns des plats de primeurs. Plus tard dans l’année viendraient les choux farcis.

Sabrebade et ventre de veau. A la fin de l’été, lorsque les dernières tomates mûrissaient voici un plat qui était une forme de cassoulet local, la sabrenade. Ragout de haricots en grains avec tomates fraîches, hachis d’ail et de persil et dans lequel, en fin de cuisson, mijotaient des saucisses confites ou, pour les grands jours, des couennes de porc et des quartiers de canards. Les fameuses saucisses, avant de confire sous la
graisse de porc dans les toupines, avaient séchées en guirlandes, suspendues durant plusieurs semaines aux solives de la cuisine.
Autre pilier des tables rurales du pays lindois, le vendre de veau, ragout de tripes dont les bouchers de la bastide débitaient en grande quantité les ingrédients de base. Ce ragout était servi avec de larges tranches de tourte de pain grillées et aillées. Il existait d’ailleurs à Lalinde, les jours de foire, à l’heure du casse-croûte tardif, un usage, aller s’attabler au restaurant Coutou, sur la place centrale, pour manger une assiette de ventre de veau.
Parmi les légumes secs d’automne et d’hiver, deux revenaient invariablement, les fèves à base des soupes d’hiver et les gesses (appelé aussi pois carré) cuisinées en ragout avec des tranches de jambon sec ajoutées en fin de cuisson.
La cocotte de salsifis aux abats de canards. Il s’agissait bien sûr, essentiellement d’une cuisine de feu de cheminée avec marmites, cocottes en fonte noire, poêle sur trépied. La cocotte était l’ustensile incontournable de la cuisine mijotée. Associant des légumes rustiques à l’instar du salsifis et la production de canards, voici un plat dirait-on de fête aujourd’hui (si rare). Il s’agit de la cocotte de salsifis aux abats de canards avec cous, gésiers, ailerons, pattes et têtes. Canards encore avec le pot-au-feu de carcasses qui
accompagnait les légumes d’hiver et dont le bouillon était la base d’une soupe grasse.
Toutes les soupes, et elles étaient quasiment présentes pour ouvrir tous les repas y compris en été, se concluaient par le chabrol ou chabrot. C’était en général des soupes taillées avec le pain pour les rendre consistantes et épaisses. Une fois la soupe avalée on conserve un peu de bouillon au fond de l’assiette, on y verse une bonne rasade de vin rouge qui va ainsi chambrer et on boit, c’est le chabrol. Un usage qui dit-on nettoie l’assiette, est revigorant et ouvre l’appétit.
L’anguille aux fruits, vieux et mémorable dessert. Le repas commun n’était pas chargé en dessert, souvent de la caillade avec une confiture maison ou
des fruits de saison. Le dimanche les desserts étaient davantage élaborés, l’été avec le massepain des moissons et sa salade de fruits (quelquefois une crème pâtissière), les tartes aux fruits. Et il y avait ce vieux dessert totalement introuvable désormais, l’anguille, qui était un gâteau en forme de longue bûche enroulée en spirale d’escargot, composée d’une fine pâte roulée garnie de fruits et servie en tronçons à la manière d’une anguille découpée.

Merveilleuse et simple tarte aux pommes.

Ou plus commun ; le plat de merveilles, ces beignets bien dorés qui avec une pâte plus fine et davantage croustillante prenaient le nom de
« cambedouilles » ou "jambes de moutons". En hiver ce pouvait être le millas, gâteau à base de chair de citrouille et de farine  de maïs garnie de pruneaux ou de quartiers de pommes. Au printemps le clafoutis aux cerises ou aux griottes concluait le dîner du dimanche. A l’automne cette rare finale avec une omelette pommes fruits, vanillée, et servie flambée au vieux marc. Toute ces douceurs étaient accompagnées d’un verre du vin blanc liquoreux, seconde production des vignes de la maison. Vieilli très
longtemps, il pouvait prendre une couleur cuivrée et un goût madérisé.

Beignet typique du Périgord, les merveilles servies avec un verre de monbazillac. (Ph. BS)
Un plat de merveilles accompagnées de monbazillac. (Ph. BS)


Un trempil ou une frétisse. En été vers 17 heures venait le « quatre heures » qu’on appelait encore dans certains coins du Périgord « mérande » ou « la collation ». Il s’agissait de prendre un trempe ou trempil. Grand bol de vin frais, souvent coupé d’eau, sucré, dans lequel étaient trempées de larges tranches de pain. Les enfants n’avaient pas droit au trempil de vin, toutefois ils pouvaient prendre un peu d’eau fraiche
colorée… A la fin de l’été, c’était la saison de la frétisse ou frotte aillée. Un quignon de pain aillé, souvent frotté de lard ou humecté d’huile de noix et d’un peu de gros sel, croqué accompagnant une grappe de raisins des vignes familiales.
Les tourins et les châtaignes. A la tombée de la nuit venait le souper. Il y avait toujours une soupe trempée. Ce pouvait être le tourin blanchi à l’œuf ou le tourin à la tomate et à l’oignon. C’est aussi une soupe rituelle et festive qui marquait tous les mariages ou les anniversaires. Il n’était pas rare que les jeunes gens « portent le tourin » à tel ou tel pour son anniversaire ou la fin de sa vie de garçon. A la saison des champignons, l’omelette aux cèpes étaient un plat (presque) commun, on mangeait aussi les coulemelles (les coucourles) grillées et légèrement vinaigrées accompagnées d’une salade de pissenlits, les mousserons des prés, les girolles, les oronges et au printemps les morilles. Là encore
le souper s’achevait avec un fromage frais ou un fruit. A l’automne quelques châtaignes pouvaient s’inviter, qu’il s’agisse des virols (châtaignes grillées) ou des borsados, châtaignes blanchies à l’eau avec quelques feuilles de figuiers.
Le jour du cochon gras. Au rang des grands rendez-vous culinaires, entre Sainte-Catherine (25 novembre) et Mardi Gras, c’était temps de tuer le cochon et faire les charcuteries familiales qu’on appelait « le jour du cochon » ou « lo jorn tel tessou ». Rien ne se perdait dans la bête lorsque « on tuait le cochon ». Et d’abord la soupe faite avec le bouillon de cuisson des boudins, le jimbourat. Du cochon gras tout se transformait dont les enchauds, rôtis confits à servir froid, les saucisses séchées avant d’être confites
dans la graisse, grattons, pâtés, ventrèches, jambons, andouilles, boudins, saucissons, feraient pendant des mois le quotidien des tablées.

Scène de la "tue cochon" à la fin du siècle dernier. (Ph. BS)


Côté volaille, c’était l’occasion, dans les jours suivants le sacrifice des canards de manger le ragout de sangette aux oignons. Un plat désormais me semble-t-il complètement oublié.

Civet d’anguilles aux baragannes. Rares étaient les poissons sur ces tablées. Les jours de fête, parmi les entrées je me souviens de la saumonette à la mayonnaise. Toutefois un ou deux pêcheurs professionnels de la Dordogne, le père Gagnou de Badefols et la famille Tarascon, montaient régulièrement au village pour vendre leurs prises. Cela donnait la fricassé de gardons à la persillade, le civet d’anguilles au baragannes, ces
poireaux sauvages récoltés dans les vignes, les barbillons pochés en vinaigrette aux patates nouvelles.

Retour de pêche sur la Dordogne à Badefols au début des années 1960.


Le farci ou la mique dans la soupe. Pour les grands jours, ou jours de fête, quand la « taulade » prenait des airs de grand dimanche on ouvrait le repas avec un apéritif qui était de fabrication maison, généralement du vin de noix puisqu’il y avait toujours quelques noyers sur le bord des chemins.

Jour de fête encore, on pouvait servir le pâté périgourdin, concocté avec du foie gras et de la chair de porc, le poulet au verjus lui
aussi apprêté avec le jus des raisins verts des vignes de la propriété, la poule au pot avec le farci cuit flottant sur le bouillon. Certaines maisons remplaçaient le farci par la mique levée, cette boule de pâte cuite dans le bouillon et servie avec la volaille. Vieil usage d’un pain cuit poché dans des temps où le pain frais était rare. Dans le pays de Montferrand-du-Périgord on cuisinait la mique non levée, petites boulettes de pâte lardée appelées rimotes, cuites aussi dans le bouillon.

Le farci avant qu'il ne termine sa cuisson sur le bouillon de la poule au pot.


Un petit verre de genièvre pour finir. On ne buvait que local puisqu’un vignoble conséquent permettait de produire bon an mal an une vingtaine de barriques de vin rouge (une partie était vendue) et trois ou quatre barriques de vin blanc liquoreux. Le vin nouveau se goûtait pour la Saint-Martin (11 novembre). Les nombreux pommiers de plein vent, les meilleures années, donnaient l’occasion de boire un cidre âpre et bien
rustique à l’automne qui se servait à partir de Saint-Placide (5 octobre), avant que le vin nouveau ne vienne égayer les tablées.
Tout s’achevait par la goutte et les liqueurs. Chaque ferme produisait sa goutte à base de marc de raisin, rendez-vous hivernal incontournable autour de l’alambic du bouilleur de crus qui ouvrait son atelier ambulant au plus près d’une fontaine ou d’un ruisseau. A cela s’ajoutaient les liqueurs de fabrication ménagère, celle de genièvre que l’on servait toujours pour se souhaiter la bonne année, celle d’angélique et aussi confits dans le marc, les fruits à l’eau de vie (pruneaux et cerises).


Bernard STEPHAN (Cet article a été publié dans le magazine Secrets de Pays en 2023).

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