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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Les usages du beau mois de mai

Publié par Bernard Stéphan sur 2 Mai 2024, 10:31am

Catégories : #mémoire rurale

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On l’appelait le cycle de mai. (actualisé en avril 2024) Il représentait la période de transition vers l’été, le mois des transformations. Le christianisme en a fait le mois de Marie. Les croyances qui s’attachent à ce mois sont nombreuses, mais on retrouve toujours la notion de pureté et de renouveau, raison probable pour laquelle la religion catholique avait interdit les mariages en mai. On retrouve une pratique de purification (ou de magie) celle de la rosée de mai. Vieil usage conduisant le quidam à collecter la rosée de mai à l’aube pour se laver ou à marcher pieds nus dans la prairie au lever du jour pour s’humecter de rosée.  Dans le Périgord, l'abbé Rocal (écrivain, auteur d'un livre sur les usages et traditions rurales au début du XXè siècle)  a trouvé ainsi les usages du collecteur de rosée de mai, à l'aube.

L'aubépine, ancêtre du muguet

Floréal, mois de l’aubépine.- Les usages de mai sont nombreux et renvoient au cycle de mai ; riche de fêtes religieuses, rites sociaux et agraires. Ils renvoient loin, dès la fin du Moyen-âge Froissart évoque les usages de mai dans deux textes poétiques ; L’Epinette amoureuse et La Cour de mai. Correspondant à l’explosion printanière (Floréal dans le calendrier révolutionnaire), on ne s’étonne pas qu’il s’ouvre avec l’échange d’un brin fleuri, muguet aujourd’hui, aubépine jadis.

Les paysans du Berry, notamment en Boischaut et Pays Fort, ayant bouchure (haie) à leur porte, y coupaient quelques rameaux d’aubépine, ce que l’ethnologue Seignolle appelle «auparvin » et Van Gennep «aubarpin » et le plantait, tout en fleur blanche, le long du potager ou près de la bergerie pour se protéger de la vermine et de la sauvagine. La folkloriste Jacqueline Martin-Demézil qui a collecté les usages solognots écrit que « l’aubépine se voyait attribuer en Sologne de grands pouvoirs magiques. C’est un antidote contre les serpents […] Le premier jour de mai, on plante toujours une branche d’aubépine près de l’étable aux bestiaux. Cette cérémonie les préserve des maladies et empêche que les vaches ne soient tétées des crapauds et des serpents. »

La magie de la rosée de mai

Le ramasseur de rosée.- Maurice Sand (le fils de George Sand) a dessiné dans un numéro de l’Illustration de 1856 l’ramasseu d’rosée représenté comme un grand échalas maigre récoltant la rosée du pays des brandes avec l’aide d’un grand linge fixé au bout d’une perche qui jouait le rôle d'une éponge. On trouvait un autre usage rapporté par l’ethnologue Arnold Van Gennep, observé sur la commune de Fours (Nièvre). «Le matin du 1er mai les fermières ramassent la rosée sur l’herbe avec un torchon qu’elles tordent ensuite dans le tire-vaches. Avec l’eau recueillie, elles lavent le pis des vaches pour que celles-ci donnent davantage de lait.»

Il y a bien une valeur magique de la rosée de mai que l’on retrouve dans de très nombreuses régions d’Europe, les résultats des collectes des ethnologues se croisent et se confirment. Mais cette rosée pouvait être parée d’autres vertus médicinales susceptibles par exemple de chasser les tâches de rousseurs ou les boutons cutanés de jeunesse. Ce jour du 1er mai dans l’ancienne société paysanne était vertueux, ainsi les bergers solognots conduisaient-ils quel que soit le temps, sur les pâtures, les moutons pour «faire profiter leur troupeau de la bienfaisante rosée qui était appelée la crème de mai à Souesmes », a noté Claude Seignolle.

Le lait et le beurre de mai

Le lait de mai.- Autre tradition très commune en Auvergne, mais que l’on retrouvait en Berry et en Normandie, c’est le lait de mai. Ce lait produit par des animaux ayant mangé de l’herbe humide de la rosée de mai était chargé de vertus thérapeutiques que l’on retrouvait dans le beurre dit de mai, baratté à partir de ce lait. Jusqu’à Voltaire, qui, dans une lettre  datée de 1723, écrivait ceci à une de ses proches : « Dites à Mademoiselle Lecouvreur qu’il faut qu’elle hâte son voyage si elle veut prendre du lait de la saison. »

Une forme de glanage en forêt

Les affouages de mai.- Ils sont encore observés dans quelques communes du Berry. Il s’agit notamment de la cueillette libre du muguet en forêt. Souvent dans des forêts communales ou forêts domaniales. Il existe par ailleurs en Berry les affouages d'automne qui autorisent la collecte de bois mort en forêts domaniales ou communales ou la coupe de bois de chauffage dans un cadre très règlementé.

A la boutonnière...

Le rameau de vert.- Sous l'ancien Régime chacun devait, le jour du 1er mai, porter sur son habit le rameau verdoyant détaché d'un mai (un arbre aux jeunes ramures). On ne devait pas aller "sans vert" disait-on.

L'omelette du pique-nique des bergers

Quêtes et piques-niques collectifs.- Un usage majeur était jadis la consommation collective du fruit des quêtes rituelles de mai. Qui ressemblaient étrangement aux quêtes de carnaval ou à celles réinventées par les enfants pour la fête d’Halloween ces dernières décennies. Ces quêtes étaient alimentaires et elles sont connues en Berry tant qu’il y eut une corporation nombreuse de commis bergers qui ont l’habitude de se retrouver un dimanche de mai. L’ethnologue Arnold Van Gennep baptise ses pique-niques d’antan miances ou manges. Et il les décrit ainsi : « Le menu des miances ou des manges organisés sur l’herbe par les petits bergers du Centre, Berry et Nièvre surtout, sont peu compliqués, mais les auteurs consultés s’accordent à dire que c’est l’omelette qui en est l’élément principal. » Cette version du rassemblement pour manger l’omelette n’est pas étrangère à quelques provinces voisines, on la retrouve en Limousin dans les monts d’Ambazac où, pour l’Ascension, baptisée Jour des Raisons, « bergers et bergères se rassemblaient avec leurs troupeaux et mangeaient une omelette cuite par les filles en buvant du vin apporté par les garçons; ce festin était suivi de danses auxquelles les gens du voisinage venaient assister. »

On retrouve le partage de l'omelette collective aujourd'hui en Bergeracois dans le sud du Périgord où la population se rassemble pour manger l'omelette à l'aillé.

On retrouve les traces des quêtes de mai en Auvergne, notamment les œufs. Les groupes de jeunesse partageaient les œufs durs ou l’omelette qu’ils dégustaient en buvant des petits vins de soif produits sur les pentes auvergnates.

Ces usages de la quête des œufs existaient en Périgord dans la région de Domme et dans la vallée du Céou pendant l'entre-deux-guerres. Les jeunes, après la quête faisaient l'omelette (la pascade).

Un mai aux élus, l'arbre de mai pavoisé. Devant la mairie d'un village en Périgord. (Ph.BS)

Une aubade récompensée

Le mai aux filles.- Il est ancien puisque un tableau de Watteau s’inspire du rituel voulant que des jeunes filles aillent se saisir de guirlandes ou de fleurs ornant un arbre autour duquel la communauté de jeunesse organisait des rondes et sarabandes.

L’expression « mai au fille » désigne la plantation d’un jeune arbre feuillu devant la maison d’une jeune fille courtisée, arbre orné de rubans, fleurs en papiers et colifichets. Laisnel de la Salle, folkloriste berrichon du XIXème siècle, évoque la tradition d’orner la porte de la maison d’une jeune fille de branches décorées de rubans, dentelles, bonbons. « Devant celle des filles mal famées, on plaçait un mai d’épine sèche avec des animaux morts […] ». (Lire ci-dessous l’usage de la plantation du mai pour honorer une personnalité.)

Dans la montagne Bourbonnaise (département de l'Allier) les quêtes qui se déroulaient dans la nuit du 30 avril au 1er mai prenaient la forme d’aubades à la porte des maisons visitées, en échange de quoi le groupe était « rafraîchi » de quelques boissons. Cet usage prenait la forme de l’aubade aux filles, on dit encore « les jeunes garçons allaient chanter le mai aux jeunes filles ». Et lorsque le groupe de jeunesse était mal reçu, les chants tournaient à la mauvaise sérénade avec des paroles souhaitant un  mauvais sort à la maisonnée. Les groupes aimaient ainsi entendre  « rentrez donc plus en avant ! » ce qui voulait dire « entrez dans la maison ».

Une fête pour se donner du courage

Ces rituels de mai ont un sens social oublié.- Ils montrent bien que c’est l’ultime moment du temps de l’hiver ou les prémices du temps de l’été dans la société paysanne ancienne. Encore une fois on observe l’usage communautaire des retrouvailles ensemble. Et ce sont les classes pauvres des campagnes, bergers, commis de fermes, manouvriers, petites mains des domaines, qui usaient d’un peu de temps libre un dimanche de mai, pour partager ce fruit des quêtes. On ne fait donc pas la quête pour soi, on fait la quête pour un partage entre membre de la même classe pour affirmer une solidarité et trouver comme un ressort à l’aune des temps difficiles et des temps des épreuves qui vont venir, ceux de la dure saison des grands travaux de l’été. Les usages communautaires de mai sont donc d’abord des affirmations d’une solidarité, d’une sorte de secours mutuel que l’on engrange avant les temps difficiles. C’est aussi l’expression d’un des derniers moments de retrouvailles communautaires et festives avant les grands travaux de l’été.

Arbre de la liberté, arbre d'honneur

L'arbre de mai, la plantation du mai.- Le mois est évidemment marqué par la plantation de l’arbre de mai. On retrouve l’arbre de mai comme symbole du renouveau dans de nombreuses civilisations. Il vient sceller un usage, conclure un cycle pour réunir une communauté à un moment donné. Le folkloriste Vincent Détharé (in. Chroniques du folklore berrichon) évoque la plantation de l’arbre de mai par les garçons « à la porte de leur promise ». Le collecteur folkloriste Laisnel de la Salle parle d’un usage assez général dans le Berry de déposer à la porte des filles courtisées des branches de feuillages, ornées de rubans de couleurs.

_4549.jpgPhoto: le mai collectif en l'honneur du conseil municipal de Montferrand-du-Périgord (Dordogne), planté sur la place du village, à proximité de la halle en 2008. (Ph.B.S.)


L’ethnologue Claude Seignolle a collecté des témoignages précis. Ainsi évoque-t-il le mai de Presly (Cher): « C’était un sapin haut de dix mètres, garni de bouteilles de vin, de limonade et de biscuits, que les filles abattaient le dimanche suivant en fin de journée, après avoir dansé et bu avec les garçons. Cette coutume se pratiquait à Saint-Viâtre et Neuvy-sur-Barangeon. » Cet arbre de mai entaché de superstitions et souvent récupéré par une bénédiction religieuse a probablement trouvé sa variante laïque et révolutionnaire avec la plantation des arbres de la Liberté à la fin du XVIIIè  siècle et tout au long du XIXè. On retrouve la plantation symbolique de l’arbre de la Liberté qui prend alors le nom d’arbre de la Victoire au lendemain du 11 novembre 1918. En 1989, pour le bicentenaire de la Révolution, de nombreuses communes ont à nouveau planté l’arbre de la Liberté sous le vocable d’arbre du bicentenaire. L’ethnologue Arnold Van Gennep a repéré une mention très ancienne du mai en bas-Berry. Ainsi, écrit-il « la plantation d’un mai sur la place publique par les Bacheliers d’Argenton-sur-Creuse (Indre), le jour de la Pentecôte, est signalée sans détail en 1659 et 1660; mais il semble que ce soit un mai de fête patronale. » L’usage du mai a totalement disparu en Berry. Il reste très vivace dans le Périgord, dans la basse-Corrèze, dans le Bordelais, dans l’Agenais, en Quercy, dans les Landes, en Auvergne dans les communes du massif du Sancy, pour honorer les élus au moment de leur élection et même les patrons de certaines entreprises.

 

Quand on plante le mai... Je recherche des témoignages sur le rituel de la plantation des "Mai". J'ai connu ce rituel, toujours vivace, dans le Périgord, dans l'Agenais, en Libournais et en Bordelais ainsi que dans l'Entre-deux-Mers. Le "Mai" est un mât, souvent un jeune arbre au tronc bien droit, jeune pin (un pinier) ou, en Périgord, balivaud de châtaignier. On pavoise le houppier du mât de drapeaux tricolores, d'un écusson lui aussi tricolore, portant une inscription à l'adresse de la personne à honorer. Car le "Mai" est en usage pour honorer une personne pour son action en général publique. C'est la communauté des habitants qui vient au domicile du récipiendaire dresser le "Mai" devant sa maison, dans son jardin ou dans son champ. Cette plantation du "Mai" donne lieu en général à des libations, ce qu'on appelle aujourd'hui de la formule convenue de "Vin d'honneur". On plante les "Mai" en Périgord pour honorer les maires qui viennent d'être élus, ainsi que les adjoints. J'ai ainsi le souvenir d'une petite commune du Périgord où, pendant une semaine, quasiment chaque jour, toute la communauté se déplaçait ainsi d'un hameau à l'autre pour planter le "Mai" chez tel ou tel élu. Plusieurs députés plantent le "Mai", ce qui donne lieu à de grandes festivités, souvent des banquets avec bal public. La plantation du "Mai" de Roland Dumas, élu député de la Dordogne (circonscription de Sarlat) en 1981 avait donné lieu à un grande fête patriotique dans une commune du sarladais.

On plante aussi le "Mai" pour certaines fêtes d'entreprises pour honorer le chef d'entreprise. Phénomène assez rare, mais que j'ai pu observer en Sarladais. Le mât était surmonté d'un panonceau porteur de l'inscription suivante: "Honneur au Patron". A charge sans doute pour le patron de déboucher les bouteilles et peut-être de donner une prime à son personnel.

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