Alain-Fournier, il y a un peu plus d'un siècle.- (réactualisé en novembre 2024) C'est en 1914, en septembre, qu'Alain-Fournier, lieutenant, est tué au front de la Grande Guerre. Un an auparavant, en 1913 Henri Fournier, sous le nom d'auteur d'Alain-Fournier, publiait un roman intitulé Le Grand Meaulnes. Le récit paraît d'abord en feuilleton dans la Nouvelle Revue Française avant de sortir en librairies. L'ouvrage aura un succès immédiat, il rate de peu le prix Goncourt en 1913. Au cours du XXè siècle il sera parmi les rares romans français les plus vendus au monde. Gallimard a accueilli en 2021 Le Grand Meaulnes dans sa prestigieuse collection de La Pléiade. Retour sur les traces de l'écrivain et du roman, dans les paysages du Berry.
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Un rêve, un rite de passage, un pays natal
Alain-Fournier va situer son roman dans les lieux de son enfance. Ils va emprunter les noms des lieux et des gens à son environnement quotidien en transposant la géographie, en bousculant toponymes et patronymes pour brouiller les pistes, mais laisser suffisamment de cailloux blancs sur le chemin pour que les connaisseurs du pays s'y retrouvent. Il va chercher le nom de son héros, Meaulnes, dans le toponyme d'un village proche d'Epineuil-le-Fleuriel et de la forêt de Tronçais, Meaulne (sans s), dans le nord du département de l'Allier.
Le Gué de la Pierre
Le père d'Alain-Fournier, Augustin, dit Auguste, instituteur est originaire du village de Nançay en Sologne. Il va occuper son premier poste en 1884 dans l'école de hameau du Gué de la Pierre, sur la commune d'Ennordres. C'est un paysage de limites. Entre le Pays Fort des collines, prairies, forêts, bocages et ruisseaux et la Sologne qui naît ici, le long de la grande route d'Aubigny. La première école s'ouvre dans une ancienne forge (dont on voit aujourd'hui le préau donnant sur l'arrière et sur le jardin qui fut la cour de récréations), dans ce hameau construit le long d'un ruisseau et d'un passage à gué. C'est là qu'Auguste rencontrera sa future épouse, Albanie Barthe, elle aussi institutrice, dont une partie de la famille habite dans le gros bourg proche, La Chapelle d'Angillon, l'ex principauté de Boisbelle. Le 31 juillet 1906, dans une lettre, Alain-Fournier a ainsi décrit le hameau du Gué de la Pierre: "Je suis allé visiter un moulin dans un pays où je suis quasi né, où le bourg est si petit qu'il est enfermé avec la place publique dans une haie d'aubépine... il y a une école dans une ancienne boutique de maréchal-ferrand, une boîte aux lettres au mur sous un cep de vignes, et trois commères qui font des chemises à l'ombre de trois tilleuls."
Le Gué de la Pierre (bis)
Ces deux photos ont été prises dans le haut du village minuscule du Gué de la Pierre. Une école communale a été construite plus récemment, même si aujourd'hui elle est fermée, utilisée comme logement. Elle comportait deux classes ouvrant sur une cour ombragée de tilleuls et sur un vaste préau pour les mauvais jours. C'est cette école qui a servi de décor à certaines scènes du film de Jean-Gabriel Albicocco, Le Grand Meaulnes, tournée en 1967. C'est aussi cette école qui dans le roman devient celle du village imaginaire de Saint-Benoit-des-Champs. Elle y est ainsi décrite: «Saint-Benoist n’est pas un village, la maison d’école est complètement isolée sur une côte au bord de la route… »
La Chapelle d'Angillon
C'est le bourg natal. Dans le roman il est baptisé La Ferté d'Angillon, l'auteur y fait naître son héros Augustin Meaulnes. Henri Fournier est donc né ici, dans l'ancienne principauté de Boisbelle, dans cette petite maison ouvrant sur la route de Bourges à Aubigny. Là vivait les grands-parents maternel dont la grand-mère Adeline Barthe, qui était née à Sury-en-Vaux, un village du Sancerrois. Une modeste plaque est le seul signe qui rappelle qu'ici le futur Alain-Fournier et sa soeur Isabelle sont nés. Lorsque l'un et l'autre viennent au monde la maison est typique des petites maisons de ce coin du Berry, un seul niveau; celui du rez-de-chaussée, un espace réduit sous les combles ouvrant sur rue par un chien assis auquel on accède par une échelle extérieure. Au-delà de jardinet, au temps des Barthe, la maison comme toutes les maisons de la rue, était séparée de la chaussée par un petit ruisseau d'écoulement. Au droit de chaque maison un petit pont de bois. Toujours dans le Grand Meaulnes, cette description qu'en fait Alain-Fournier: « Les maisons où l’on entrait en passant sur un petit pont de bois, étaient toutes alignées au bord d’un fossé qui descendait la rue, comme autant de barques… amarrées dans le calme du soir ».
Ce n'est qu'en 1909, au moment du mariage d'Isabelle avec Jacques Rivière, que fut construit un premier étage à la maison natale pour y accueillir la chambre des jeunes époux. Le 13 août 1905 Alain-Fournier décrit ainsi, dans une lettre à Jacques Rivière, le bourg de sa naissance: "La Chapelle d'Angillon, où depuis dix-huit ans je passe mes vacances m'apparaît comme le pays de mes rêves, le pays dont je suis banni - mais je vois la maison de mes grands-parents, comme elle était du temps de mon grand-père: odeur de placard, grincement de porte, petit mur avec des pots de fleurs, voix de paysans, toute cette vie si particulière qu'il faudrait des pages pour l'évoquer un peu."
La Chapelle d'Angillon (bis)
Deux bâtiments constituent des étapes à la Chapelle d'Angillon dans le circuit Alain-Fournier, il s'agit de l'église Saint-Jacques où le jeune Henri a été baptisé en 1888 et de l'école-mairie. Celle-ci est décrite dans le roman, elle est une étape importante dans le village qui est devenu dans l'oeuvre La Ferté d'Angillon. Mais cette mairie-école est aussi une étape de la vie des parents, en effet Auguste et Albinie vont enseigner et vivre dans cette bâtisse de 1903 à 1908. Alain-Fournier lui-même vécut peu dans cette maison, il n'aimait pas la cour à l'arrière de la bâtisse. Accolé à l'église, le vieux cimetière abrite les tombes d'un monde qui s'est arrêté là avant la première guerre mondiale. Autant de défunts qui ont pu être témoins de la jeunesse d'Alain-Fournier. Parmi les tombes; celles des parents de l'écrivain, Auguste et Albanie et celle des grands-parents Barthe.
La Chapelle d'Angillon (ter)
C'est sur la plaque gravée du monument aux morts de La Chapelle d'Angillon. Sur une ligne, un nom et un prénom sont inscrits: FOURNIER Henri. L'écrivain a été tué sur les lignes du front de la Grande Guerre, en septembre 1914. Si on poursuit la découverte du bourg de La Chapelle d'Angillon on passe par le lavoir, construction dressée le long du canal de fuite de l'étang pas loin de l'église. Le château de Béthune se dresse au-dessus du lac vers le sud. Ce plan d'eau est récent, creusé seulement en 1974. La demeure est une vaste bâtisse composée de plusieurs styles dont un donjon du XIè siècle, un corps de logis du Moyen-âge tardif et une loggia Renaissance. L'ensemble est à lui seul une porte d'entrée particulièrement romanesque. Non seulement le jeune Henri Fournier a vécu ses jeudis d'enfance sous les murailles du château, mais ce fut aussi la résidence des princes de la Principauté de Boisbelle. D'autres noms ont laissé des traces dans les lieux comme Sully, ministre du roi Henri IV, qui fit dresser les plans et construire la ville nouvelle d'Henrichemont, à quelques lieues d'ici. Dans ce château a vécu la princesse de Clèves. Derrière les murs, aujourd'hui, le visiteur peut découvrir deux espaces de mémoire: un musée de l'ancien royaume d'Albanie et un petit musée Alain-Fournier. Le château de La Chapelle d'Angillon est une des étapes de la route Jacques Coeur.
L'abbaye de Loroy
L'abbaye de Loroy près de Méry-es-Bois est aujourd'hui un lieu fantôme. Volets clos, clôture infranchissable au bout du chemin de terre. Si on songe que le Grand Meaulnes est une recherche inachevée du sentier perdu et du Domaine mystérieux, Loroy pourrait être ce lieu au bout du chemin. Mais il y a tant d'autres lieux qui sont ainsi les esquisses supposés du fameux domaine... Qu'il s'agisse de manoirs de chasse en Sologne comme le domaine des Sablonnière, de châteaux de vallons dans le Pays Fort, de gentilhommières du Boischaut dans le sud du Berry comme le château de Cornançay, de pavillons à tourelles dans le nord du Bourbonnais, du château du Haut-Boulay en Sologne, finalement le Domaine mystérieux est un lieu de composition peut-être introuvable. Et pourtant... L'abbaye de Loroy aura bien été l'incarnation de ce domaine mystérieux, par la volonté d'Isabelle Rivière, au moment du tournage du film d'Albiccoco. C'est bien l'abbaye qui est ainsi illuminée de mille lampions à la nuit tombée, la farandole des enfants y incarne la fête étrange. Voici comment Isabelle Rivière décrit l'endroit dans son livre Images d'Alain-Fournier : "Chateau, ferme ou abbaye... Presque toutes closes, les sages fenêtres s'alignent innombrables sur la façade plate; un hérissement de lucarnes et de fines cheminées anime le beau grand toit d'argent bleu; la flèche grise d'une chapelle domine à droite une aile en retrait, et contre cette aile, déjà rejoint par la forêt qui se referme derrière le château, il y a un grand pan de ruines, dressé tout seul, à demi recouvert de lierre et troué d'une porte en ogive qui se dessine presque intacte sur la sombre épaisseur du bois. A l'autre extrémité de la demeure muette, on devine des dépendances disséminées comme au hasard dans un fouillis d'arbres et d'arbrisseaux." Aujourd'hui, outre l'immense bâtisse aux volets clos, il reste une silhouette esquissée, volets ouverts, sur un mur au centre-bourg de La Chapelle d'Angillon près de l'église.
Nançay
C'est le pays du père de l'écrivain, Auguste. Là vit une partie de la famille avec la figure de l'oncle Florent Raimbault, dit Florentin. Il habite sur la place face à l'église, au rez-de-chaussée de la vaste bâtisse construite en apareillage de briques rouges. L'oncle tient un magasin typique de l'époque à l'enseigne "La Grande-Nouveauté". On y trouve tout, sorte de quincaillerie avant l'heure, rouennerie, tissus, articles de chasse et pêche, torréfaction du café etc. Dans une lettre à Jacques Rivière datée du 13 août 1905, Henri Fournier évoque ainsi le village: "C'est le pays de mon père. On y arrive après cinq lieues de voyage par des routes perdues, dans des voitures antiques..." Le village devient Le Vieux-Nançay dans le roman. Henri Fournier vient au moins une fois par an dans la maison de l'oncle et de la tante Augustine (soeur de son père Auguste) pour y passer la fin des grandes vacances. Il confesse une vraie joie de se retrouver là au milieu d'une ribambelle de cousins et cousines, il y avait neuf enfants dont un garçon et huit filles. Il a longuement décrit la vie à Nançay dans plusieurs lettres à Jacques Rivière. Ainsi dans cette très longue correspondance datée du 13 août 1905: " Un autre pays qui est celui de mes rêves, où je passe toujours, depuis dix-huit ans, quinze jours au moment des chasses: c'est Nançay. En ce moment, je ne désire rien d'autre que d'aller passer mes huit derniers jours de vacances à Nançay. Ca et y être enterré. Je n'avais connu jusqu'ici que le bonheur muet d'y vivre. Il me remonte maintenant toute la poésie immense, je n'exagère rien, de ma vie, de la vie là-bas."
Nançay (bis
C'était en 1986. Pour le centenaire de la naissance de l'écrivain, le village de Nançay fit éditer une flamme postale. Elle synthétise l'esprit du lieu. Au premier plan le portrait de profil d'Alain-Fournier directement inspiré d'une photo du jeune homme, accoudé sur une table de travail. A gauche de la flamme est esquissé le magasin de l'oncle Florentin. A droite un étang de Sologne, c'est le paysage environnant le village. L'ensemble est surligné de la fameuse phrase "Nançay... le lieu du monde que le préférais..." Ne pas manquer à l'entrée du village, route de Bourges, le château. Bâtiment du XVIè siècle, avec son appareillage de pierres blanches et de briques rouges, ce château est attenant à de vastes communs où a été créée une galerie d'art, la Galerie Capazza, qui aujourd'hui fait référence. Le château a-t-il pu être un modèle pour la fête étrange du roman ? Là encore c'est une hypothèse parmi tant d'autres. En venant au village passer ses fins d'été, la vie au château voisin n'a sans doute pas échappé à Henri Alban.
Nançay (ter)
Face à la maison de l'oncle, de l'autre côté de la placette, s'ouvre la petite église de Nançay. Elle fait partie de l'univers intime des fins d'été. "En face, tout près, un clocher qui m'a toujours paru carillonner gaîment les heures qui passaient vite mais qu'on devait entendre loin et longtemps", écrit Fournier le 13 août 1905. C'est à la sortie du village, route de Souesme, au milieu d'une clairière, qu'on pousse la porte du cimetière. Pour retrouver la tombe familiale où sont inhumés l'oncle Florent Raimbault (1856-1933), la tante Augustine (1862-1938) et plusieurs membres de la parentée.
Nançay (quatre)
C'est au centre du village, sur la place à quelques pas de l'ancienne boutique de Florentin. C'est la boutique des sablés de Nançay. Ce petit gâteau qui renvoie aux goûters de l'enfance a une histoire relativement récente. C'est le boulanger de la place qui fait une erreur dans un dosage de pâte. La patronne de la maison, Henriette Fleuriet, ne veut pas gaspiller, elle fait cuire cette pâte sous forme d'un biscuit sablé. Elle fait goûter, le village apprécie, ainsi sont nés les sablés de Nançay. Nous étions en 1953. Bien loin d'Alain-Fournier, mais un tel goût sucré renvoie à la beauté des souvenirs qui se croisent et se mélangent.
Bourges
En 1903 Henri avait été interne au lycée de Bourges pour y passer le bac. Le lycée est au centre ville appuyé sur l'ancien rempart. La vaste bâtisse ouvre sur l'actuelle place Cujas, elle est devenue aujourd'hui l'école nationale des Beaux arts. C'est une architecture de style classique qui fut, dans une période ancienne, le collège des jésuites. A droite de l'établissement s'ouvre l'Hôtel des Echevins (ex-lycée Alain-Fournier) qui accueille actuellement le musée du peintre et coloriste Maurice Estève. En poursuivant, on emprunte la rue Edouard Branly qui épouse l'ancien rempart et s'en va vers le coeur de la vieille ville.
Bourges (bis)
La cathédrale Saint-Etienne de Bourges et le jardin de l'archevêché sont présents dans le Grand Meaulnes. Augustin Meaulnes flâne ainsi dans les venelles de la vieille ville, il longe les hauts murs de la cathédrale et va dans les allées et sous les grands arbres du jardin à la recherche de Valentine. Souvenirs d'un amour éphémère d'Henri, transposé dans le roman.
Epineuil-le-Fleuriel
Etape majeure des traces d'Alain-Fournier et du roman, le village d'Epineuil-le-Fleuriel au sud du département du Cher, pas loin de l'Allier. "Aucun pays n'est le mien, écrit-il, si ce n'est peut-être le bourg où je suis allé en classe et au catéchisme (...)" Henri a 5 ans lorsque ses parents sont nommés instituteurs à Epineuil après avoir été quelques années en poste dans le village de Marçais, pas bien loin, en Boischaut. Ce village de Marçais qui avait été celui de la petite enfance. Et qu'il évoque ainsi dans une lettre à Marguerite Audoux du 9 juillet 1911: "Tout celà me rappelle de très vieux paysages de ma première enfance, dans des pays du Cher où je ne suis jamais revenu." Le jeune Henri restera sept ans à Epineuil (1891-1898), le village et son pays allentour l'ont profondément marqué. Il va faire de l'école le centre de son roman, avec ses deux classes et le logement familial. Et célébrer cette "longue maison rouge avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges" qui est une pièce maîtresse de la scène romanesque du Grand Meaulnes. Dans le roman, le village a été baptisé Sainte-Agathe empruntant ce patronyme à un lieu-dit proche où se dresse une chapelle vers laquelle les habitants de ce coin du Berry se rendaient en pèlerinage.
Epineuil-le-Fleuriel (bis)
L'arrière de la grande maison-école inspira à Alain-Fournier ses goûts d'escapades dans la campagne. Des fenêtres le regard portait sur le jardin, un peu plus loin le ruisseau qui passe sous un pont étroit et encore plus loin la campagne bocagée, la ferme de la Belle-Etoile, les chemins creux entre les bouchures. "L'odeur de la terre bêchée entrait avec des branches et les appels des merveilleuses petites filles qui remontaient l'allée avec des dames. Ces soirées de lumière dans le jardin et dans l'école, dont je ne puis pas dire toute la pureté et tout le mystère." (Lettre à Jacques Rivières le 26 décembre 1906). C'est au bout de la rue pincipale que le promeneur débouche sur l'église, la place herbue ombragée d'un marronnier imposant, le monument aux morts et le parc de l'ancienne cure.
Le sentier perdu
Par bien loin d'Epineuil, sur une douce colline, dans son bouquet d'arbres, on peut appercevoir le château de Cornançay qui domine, au loin, la forêt de Tronçais. Une belle bâtisse des XVIIIè et XIXè siècle dont l'appareil est de briques rouges et la toiture d'ardoises bleues. On a beaucoup écrit sur ce lieu d'inspiration. La scène de la Fête étrange, temps fort du roman, aurait pu être inspirée à Alain-Fournier par un événement qui se produisit dans ce château, contemporain de son enfance à Epineuil-le-Fleuriel. En 1896 le propriétaire, le vicomte de Fadate, pour célébrer la naissance de sa seconde fille donna une fête au château, avec goûter sous les charmilles à l'intention de tous les enfants du pays. Il invita notamment tous les enfants de ses métayers dont nombre d'entre eux allaient à l'école d'Epineuil. La famille Fournier invitée, déclina. Mais on songe que cette fête au château avec goûter gourmand, lampions et probablement musiciens voire clowns et peut-être jongleurs, marqua les esprits des enfants issus de cette paysannerie pauvre du Boischaut. On en parla longtemps dans la cour de récréation, on l'enjoliva. Henri qui en avait été privé, peut-être en rêva-t-il. Et il la réinventa dans la Fête Etrange de son roman. "Toutes ces bâtisses avaient un mystérieux air de fête. Une sorte de reflet coloré flottait dans les chambres basses où l'on avait dû allumer aussi, du côté de la campagne, des lanternes." (Grand Meaulnes, la Fête Etrange).
La chapelle Sainte-Agathe
C'est une chapelle dressée au bout d'un chemin, à la pointe d'une colline, à une douzaine de kilomètres d'Epineuil-le-Fleuriel, au nord du département de l'Allier. Tout le pays y allait en pèlerinage, chaque année, le lundi de Pentecôte. Henri a connu ce rassemblement, il y avait accompagné sa mère. Il s'y déroulait jadis le pèlerinage des bouviers et des bergères. Tradition commune à de nombreux lieux de pèlerinages en Berry. Ces "assemblées" de bergères et bouviers donnaient lieu au rituel de la bénédiction des baguettes de coudrier en usage pour guider les bêtes. Alain-Fournier a fait du toponyme Sainte-Agathe le nom du village majeur de son roman, remplaçant ainsi Epineuil, le nom réel. C'est à la chapelle de Saint-Agathe, dans ce décor authentique, que le cinéaste Albicocco a tourné la scène du mariage d'Augustin Meaulnes avec Yvonne de Galais.
Andrée Lullier qui fut la dernbière institutrice dans l'école d'Epineuil (avec son mari) à partir de 1962, et qui connait mieux que quiconque la vie d'Alain-Fournier est formèle. Selon elle, Henri Fournier n'est jamais allé à Ste Agathe "pauvre chapelle au sommet d'une colline et contenant des reliques douteuses de la sainte". Il faut se replacer dans le contexte de l'école publique de cette époque.Une lettre anonyme avait dénoncé auprès de l'Inspecteur de circonscription le fait que le jeune Henri avait servi la messe, ce qui avait valu une descente de l'Inspecteur à Epineuil et recommandation que ce fait ne se renouvelle pas. Certes les villageois acceptaient que Madame Fournier se rende à la messe et que les enfants aillent au cathéchisme, mais pas d'autre démonstration. Beaucoup d'Epineuillois se rendaient à ce pèlerinage le lundi de Pentecôte; ce qu'Alain-Fournier évoque dans ses ébauches du roman " la tête appuyée aux barreaux du portail (il) voit passer sur le chemin jaune les pèlerins de Sainte Agathe". Le fait de n'être jamais allé à ce pèlerinage excite son imaginaire (comme la fête à Cornançay à laquelle il n'assiste pas non plus) ce qui lui a vraisemblablement donné l'idée de cacher Epineuil derrière le nom de la chapelle.
D'autres images du pays d'Alain-Fournier...
" Du haut des côtes, descendre et s'enfoncer dans le creux des paysages; découvrir comme à coups d'ailes les lointains de la route qui s'écartent et fleurissent à votre approche, traverser un village dans l'espace d'un instant et l'emporter tout entier d'un coup d'oeil.... En rêve seulement j'avais connu jusque là course aussi charmante, aussi légère. Les côtes mêmes me trouvaient plein d'entrain. Car c'était, il faut le dire, le chemin du pays de Meaulnes que je buvais ainsi..." (Le Grand Meaulnes, chapître III).
* Toutes les photos de cet article sont de l'auteur de ce blog.
Le livre du centenaire
À l’occasion du centenaire de la publication du Grand Meaulnes les Éditions Bleu autour, établies non loin d’Épineuil-le-Fleuriel (Cher) où se noue l’intrigue du roman d’Alain-Fournier, ont fait paraître une édition critique et illustrée de cet ouvrage devenu mythique.
Préfacée par Pierre Bergounioux, universitaire, écrivain, dirigée par Bernard Stéphan, journaliste et essayiste, cette édition apporte des éclairages multiples et inédits sur ce texte qui prend un nouveau relief mais dont la magie demeure.
L'appareil critique propose une dizaine d'articles dont une étude historique du contexte de l'époque, une approche de la situation politique et sociale en Berry dans les années d'enfance d'Alain-Fournier, une approche du paysage Meaulnien et notamment de la Sologne, la recherche des femmes qui ont compté pour le jeune écrivain, une longue évocation du village d'Epineuil-le-Fleuriel et de son école emblématique où Alain-Fournier a fait son apprentissage, le temps des influences artistiques et littéraires qui ont participé à la formation de l'auteur de ce roman unique, l'évocation d'un Meaulnien particulier en la personne de François Mitterrand.
* Le Grand Meaulnes, préface de Pierre Bergounioux, édition critique dirigée par Bernard Stéphan. Editions Bleu Autour. Novembre 2013, 28 euros.
Saint-Rémy-la-Calonne sur les Hauts de Meuse. La cimetière où repose Alain Fournier et ses compagnons. La clairière, près de la tranchée de Calonne où ont été retrouvés les restes. Le site est matérialisé par une verrière sous laquelle sont inscrits les noms des soldats qui avaient été enterrés là. Un monument symbolisant un flamme blanche veille, au pied de la flamme, esquissées, les formes du livre et du képi d'officier de l'écrivain mort au combat. Au village, un jardin de la mémoire littéraire propose un parcours qui évoque tous les soldats-écrivains combattants et bien sûr ceux qui sont morts au combat. (Photos © Bernard Stéphan)
La tranchée de Calonne (aujourd'hui une route), le carrefour de Calonne matérialisé par un monument au 54è R.I.( Photos © B.S.)
Le paysage des Eparges, crête de collines dominant les villages des Eparges et de Saint-Rémy-la-Calonne. Les lieux de terribles combats où a été engagé Alain-Fournier. (© Photos B.S.)