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Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Le Roy Ladurie: " Notre histoire soumise au temps qu'il fait..."

Publié par Bernard Stéphan sur 24 Novembre 2023, 11:39am

Catégories : #mémoire rurale

La production de vin, la moisson, les grands hivers, autant de situations qui sont des marqueurs d'une évolution du climat.
La production de vin, la moisson, les grands hivers, autant de situations qui sont des marqueurs d'une évolution du climat.
La production de vin, la moisson, les grands hivers, autant de situations qui sont des marqueurs d'une évolution du climat.
La production de vin, la moisson, les grands hivers, autant de situations qui sont des marqueurs d'une évolution du climat.

La production de vin, la moisson, les grands hivers, autant de situations qui sont des marqueurs d'une évolution du climat.

 

 

Emmanuel Le Roy Ladurie: "L'histoire du climat pèse sur le comportement social"

 

L'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, auteur de Histoire du climat depuis l'An Mil, évoque ici l'influence du climat sur les sociétés humaines et sur leur histoire. J'avais réalisé cet entretien le 15 octobre 2015 pour le journal La Montagne. Il vient de disparaître en ce mois de novembre 2023. Relisons celui qui avait perçu l'importance majeure de l'histoire du climat.

Lorsque vous commencez vos travaux sur le climat… Quel est le déclic ?

Ça doit être en 1955. J’ai commencé à m’occuper du Languedoc  et c’est entre 1955 et 1960 que j’ai dû découvrir les dates des vendanges. Je faisais une thèse sur le Languedoc et je voulais faire un petit chapitre sur le climat, la géographie. Et j’avais eu le choc de ma vie en découvrant les anneaux des arbres américains par le hasard  d’une lecture de Sciences et avenir qui était une assez bonne vulgarisation. Vous savez les anneaux des arbres qui sont épais, qui sont minces, etc. Je suis tombé sur un article d’un formidable météorologiste des années1880 qui s’appelait Alfred Angot qui a fait  un magnifique travail sur les dates des vendanges comme indicatrices du climat. Ce travail ensuite a été totalement oublié des météorologistes. Or les dates des vendanges et les dates de certaines récoltes sont révélatrices  de la chaleur ou du froid de la période d’avril à septembre. Alors je me suis mis à travaillé là-dessus. Et comme ma femme est alpine; on s’est intéressé aux glaciers alpins. Et j’ai fait ma thèse sur les paysans de Languedoc. Et il y avait à l’époque une thèse secondaire. Je me suis dit que j’allais travailler sur l’histoire du climat.

 

Qu’allez-vous trouvé comme sources ?

Assez vite j’ai trouvé mes sources. Certes les anneaux des arbres, les dates des vendanges, le mouvement des glaciers alpins. Il y avait des archives intéressantes sur le petit âge glaciaire et notamment  les glaciers alpins du XIVè au XXè siècle. J’ai fait aussi des séries événementielles sur les hivers froids ou chauds. Et il y a les séries thermométriques qui remontent à 1659 en France et en Angleterre. Les français ont battu les anglais de trois mois je crois. Avec ces sources-là je remonte au XVè siècle. Et comme base il y a le petit âge glaciaire jusqu’au réchauffement actuel qui commence vers 1850-1860. On voit les glaciers des Alpes commencer à reculer dans la seconde moitié du XIXè siècle. Pour les Alpes on a des archives historiques très importantes qui remontent au XIVè siècle. Et dans les Alpes il y a eu depuis très longtemps la vague des touristes anglais à partir du XVIIIè siècle, ils ont laissé beaucoup de textes et de dessins, qui sont des éléments d’archives importantes. Aux XVIè et XVIIè on a les délibérations des communes qui écrivent aux Papes pour réclamer des prières pour demander que le glacier s’arrête. Et… effectivement au bout de quelques temps il s’arrête ! Et il y a un petit optimum médiéval, du IXè au XIIIè siècle, mais ce ne sont pas des chaleurs tropicales.

 

Quand on lit les romans populaires ou les romans paysans du XIXè siècle, il y a toujours des descriptions d’hivers très froids. Est-ce un effet romanesque ou une réalité ?

Les gens percevaient les hivers beaucoup plus qu’aujourd’hui. Ils y étaient plus sensibles car ils vivaient directement au contact des éléments. Pour nous, pour percevoir ces hivers, il y a des sources plus rigoureuses, ce sont les séries thermométriques, ce sont les notes des curés. Quant aux dates des vendanges ou aux anneaux des arbres, ils ne disent rien sur les hivers puisque dans les deux cas ce sont les températures estivales qui influencent. Sur les hivers on a quantité de témoignages. Le moindre curé de campagne note au passage que l’hiver a été épouvantable, ou a été doux…

 

Avez-vous travaillé avec les archives militaires ?

Non, c’est avec les archives communales et départementales. Mon disciple et ami Emmanuel Garnier a travaillé avec les archives militaires pour le Sahara.  

Et j’ai travaillé sur les récoltes de blé, les dîmes, c’est un indicateur d’abondance ou de disette. Et de là, quand on a des textes on peut remonter à la réalité de l’hiver qui a précédé la récolte. En général un hiver froid n’est pas du tout mauvais. Le blé aime bien, ça lui fait un petit coup de froid. Mais quand le mois de janvier atteint des moyennes à -3,5°C ou -4°C avec des pointes nocturnes à -20°C, là c’est mauvais. C’est l’hiver de 1709, l’hiver de 1956.

 

Je remonte loin. Lorsque les Vikings arrivent au Groenland, il y a un recul de l’hiver?

Oui c’est alors le petit optimum médiéval. Mais des Vikings, il en arrive dès le Vè siècle. C’est donc indépendant du climat. Ils se sont conduits au Groenland comme des imbéciles, ils auraient pu faire des céréales, de l’orge. Ils se sont bornés à imiter le mode de vie des esquimaux. Ils ont disparu du Groenland en revenant en Scandinavie vers le XVè siècle.

 

La question sous-jacente c’est celle de l’influence du climat sur les sociétés humaines. A-t-il pu être déclencheur de révoltes et de révolutions?

Le climat n’est pas tout seul. Mais c’est un élément. Ce qui compte dans l’Ancien Régime dans les révoltes en France, mais aussi dans les pays voisins, ce sont les céréales. Quand vous avez une pointe des prix du froment, des céréales de base, orge, avoine, etc, une hausse bien marquée des prix du blé, on peut repérer des pointes de disettes. Qui sont généralement le fait, dans la France du nord et du centre, de la pluie. C’est ce qu’on appelle l’été pourri. Des pluies excessives sont contraires à la bonne tenue des céréales. Puisque les céréales cultivées chez nous ont des origines au Moyen-Orient, en Mésopotamie. Donc elles sont habituées à un climat chaud et sec, même si on les a modifiées. La cause des grandes famines, c’est généralement un climat pluvieux qui a généré de très mauvaises récoltes: par exemple la grande famine de 1693 où il a un million de morts dans l’hexagone.  La deuxième cause, mais plus rare sous nos climats du nord, c’est ce qu’on appelle l’échaudage et la sécheresse. L’échaudage c’est un gros coup de chaleur qui peut s’accompagner d’une sécheresse. Ce n’est pas très fréquent. Mais par exemple en 1846 vous avez un épisode d’échaudage-sècheresse, de mauvaises récoltent qui provoquent le mécontentement populaire en 1847 et en février 1848 le mécontentement social, qui a aussi d’autres causes, produit les révoltes de février 1848 qui tournent en révolution. Il y a donc les grosses pluies, mais il peut y avoir de l’échaudage, de la sécheresse et la dernière cause c’est le grand hiver qui tombe sur les céréales semées à l’automne. C’est le cas de 1709.

 

A-t-on des cas de morts massives imputables à une crise climatique?

Là où on a les meilleurs chiffres c’est la famine de 1693  provoquée par un grand hiver mais surtout par des pluies excessives. Les conséquences; c’est un million trois cents mille morts supplémentaires. C’est un gros coup pour la France de Louis XIV. Il est vrai que ça tombe pendant une période de guerre avec des impôts très lourds.  Il y a donc aussi une cause fiscale qui vient s’ajouter à la cause climatique. Le deuxième grand hiver parfaitement connu c’est 1709. Après une période assez douce qui a lancé la pousse de blé vous avez en janvier 1709 un mois de janvier très froid à -3°C ou -4°C de moyenne. Cette moyenne peut se traduire par des nocturnes à -20°C. Le blé en terre est tué. C’est la cause de 630.000 morts supplémentaires. Les gens ne meurent pas de froid, il meurent de faiblesse et d’épidémie. C’est le typhus par exemple, la dysenterie et des fièvres diverses. J’ai trouvé ce trio en Irlande au moment de la grande famine de1846 avec la crise de subsistance due à la pénurie de pommes de terre. J’ai appliqué ce modèle à la France.  Mais j’ai trouvé en France des témoignages de curés qui écrivent “il y a eu tant de personnes mortes de faim”. Et alors il y a une très forte baisse de la natalité qui intervient chez les femmes en période de disette, de famine. C’est ce qu’on appelle l’aménorrhée de famine. Quand la sous-alimentation est trop forte, les femmes n’ont plus leurs règles et son temporairement stériles. Les femmes mariées devenaient infécondes au plus fort de la famine. Ce qui est une façon pour le corps féminin de faire face à la famine.

 

Les sociétés modernes sont moins sensibles au climat que les sociétés agro-pastorales...

Bien sûr, l’agriculture ne joue plus le premier rôle. Mais malgré tout dans les sociétés modernes quand il s’agit d’un grand hiver comme 1956 par exemple; on a une année de mauvaises récoltes qui ne provoque plus de famine, mais qui oblige à importer des céréales du Canada, d’Australie, des États-Unis.

 

L’histoire du climat est intime de l’histoire économique et elle est intime de l’histoire religieuse et politique…

Jusqu’à un certain point oui. Les mauvaises récoltes induisent des comportements religieux. On trouve des communautés où, en cas de crise climatique, on fait des prières. On a en général un saint spécialisé dans l’agriculture, on le prie, on le supplie et s’il ne fait pas son boulot, on noie la statut ou on la brûle. Jusqu’au moment où il y a un comportement religieux plus rationnel, comme par exemple avec Malebranche qui dit "tout cela est ridicule" ! Dieu ne passe pas son temps à commander telle tempête ou telle sécheresse. Il s’occupe de l’ordre général. Côté  histoire politique, la mauvaise récolte induit une hausse des prix des céréales et celle-ci provoque des mouvements divers comme la famine de 1692, la guerre des farines dans les années 1770 qui annonce un peu la Révolution. Et ça peut aller jusqu’à une révolution. Par exemple la Fronde de 1648 à 1652 a des causes politiques, mais quelques mauvaises récoltes ont contribué à jeter dans la rue les parisiens et les habitants d’autres villes. Concernant la Révolution, en 1787 et 1788 il y a une grande année de sécheresse qui fait monter les prix du blé, crée une forte agitation, mais il n’y a pas de mortalité. Cette sécheresse met les gens dans la rue. Ce mécontentement culmine jusqu’à 1789. En 1794 il y a une sécheresse importante, une crise des récoltes et une crise de subsistances que les thermidoriens vont devoir gérer au printemps 1795. Ils gèrent tant bien que mal, mais il y aura les grandes émeutes de Prairial (en mai 1795). L’autre exemple; c’est 1846 avec la crise d’échaudage qui donne une mauvaise récolte. En 1846 il y a des grèves et toutes sortes d’agitations qui se poursuivent en 1847 et février 1848. Et c’est la révolution de 1848 qui va se propager dans toute l’Europe.

 

Au moment de toutes ces crises, que faisait le pouvoir ? Sous l’Ancien régime, au moment où la crise est au plus fort que faisait le pouvoir ? Libérait-il ses greniers ?

Jusqu’en 1660 le pouvoir ne fait rien. Ceux qui réagissent vraiment ce sont les villes. Là; elles font un travail important. A Lyon il y a un grand magasin de blé. Les villes sont habituées, car elles craignent les émeutes. Dans beaucoup de villes il y a une mercuriale, un état des prix du blé. Cela peut être semaine par semaine. A partir de 1660 précisément la chose est prise en main par l’Etat sous Colbert. Jusque là Richelieu s’en fiche, Mazarin s’en fiche, ce qui compte c’est la grande politique, etc. Henri III avait fait un effort sous les guerres de Religion. Il avait distribué quelques kopecks à des gens qui en avaient besoin. Mais c’est Colbert et Louis XIV qui prennent en main les disettes. C’est surtout la famine de 1661 qui est déterminante. Louis XIV arrive au pouvoir en 1661. Et Colbert et Louis XIV, pour lutter contre la disette à Paris, font venir du blé de Bordeaux, de la Baltique et à partir de là il y a une tradition de l’administration royale de regarder ce qui se passe du côté des famines. On a peur des révoltes populaires. A partir du début du XVIIIè siècle, vous avez l’administration des Intendants qui envoie en avril ou mai, au pouvoir, un état prospectif des récoltes. Et on fait des moyennes nationales et en fonction de ça le pouvoir peut faire des importations de céréales qui viennent soit de la Baltique, la Pologne, soit du sud de la France, de Bordeaux. Et les différents régimes du XIXè siècle ce sont toujours intéressés à ces questions, d’abord parce qu’ils ont la trouille des émeutes. Les émeute de subsistances sont une marque des révoltes d’Ancien Régime. Et même en Angleterre, les historiens Anglais y voient l’origine du syndicalisme anglais.

 

L’homme est très sensible au climat à l’époque des sociétés agro-pastorales. Avec les sociétés industrielles il aurait dû se libérer de ce climat…

Je donne l’exemple de la révolte des vignerons du Midi en 1907. A la suite du phylloxéra on a replanté les vignes, il y a eu de bonnes années chaudes, sèches, etc. et en 1907  tout le Languedoc est dans la rue pour protester contre le prix du blé. C’est là que le  chef de la révolte Marcelin Albert, qui est un type un peu niaiseux, va voir Clémenceau pour protester et Clémenceau lui paie son billet de retour. En 1956, en février, c’est un grand hiver. En France on traverse ça assez bien. En Espagne ce sont les productions essentielles à l’économie locales qui sont détruites: vignes, olives. Il y a une agitation qui se propage, qui n’a rien à voir avec les effets du gel et qui se propage à l’université. Et l’agitation est tellement forte que Franco change son équipe gouvernementale pour la première fois.

 

A quel moment avez-vous été sensibilisé pour la première fois au réchauffement dû à l’homme?

J’ai publié vers 1960  ma première Histoire du climat depuis l’An Mil et dedans il y a un chapitre qui s’appelle “le réchauffement récent”. Moi j’accepte tout à fait les théorie du GIEC, mais je ne suis pas un scientifique. Cela me paraît assez inquiétant. J’étais ami de Claude Alègre, mais sur ce point j’ai une divergence avec lui.

 

Avez-vous observé cette histoire du climat ailleurs dans le monde ?

Pas exactement. Même si on ne fait pas l’histoire du climat dans un jardinet comme disait Lucien Febvre. Moi j’ai travaillé sur la France et observé. Alors on nous dit que grâce au réchauffement on aura peut-être d’excellents vins; jusqu’au jour où même la vigne ne tiendra plus. Il y a même la plantation de vignes en Angleterre. La reine Elizabeth a même acheté des tas de terrains au sud de Londres.

 

Est-ce que les communautés humaines, en occident notamment, ont perdu la mémoire du climat ?

Je ne crois pas que les agriculteurs aient perdu cette mémoire. Ils savent l’importance du climat.

 

Comment l’université et la recherche assurent-elles la continuité à vos travaux sur l’histoire du climat ?

J’ai quelques disciples, il y a des scientifiques comme Jean Jouzel. Au point de vue histoire il y a Emmanuel Garnier qui a pas mal d’élèves, des jeunes;  un garçon qui s’appelle Metzger, Mme Vazinc, mais il est certain que ce n’est pas rentable dans une carrière. Beaucoup de gens se méfient de ce genre d’activités. Dans l’université il y a une sorte de résistance à cette histoire-là parce que c’est une spécialité un peu bâtarde. Un homme comme Pierre Goubert, grand historien de la ruralité, ne s’est pas du tout intéressé au climat. Il y a chez beaucoup d’historiens normaux l’idée que c’est en dehors de l’histoire ! Mais moi je suis un historien anormal. C’était une histoire interdite, un peu comme l’histoire de l'obscénité ou de la sexualité ! J’ai été un historien de l’agriculture, des paysans, et par prolongement du climat. Le climat n’a été qu’une végétation dans mon travail. Quelqu’un comme Garnier serait plutôt un historien des villes car les fluctuations des prix du blé, des céréales, a des effet sur les comportements des citadins au cours des âges. Moi je suis fils d’agriculteur. Je ne suis pas paysan d’origine, je suis plutôt d’une famille de la bourgeoisie rurale normande, un peu des gentleman-farmer qui se ruinaient avec quelques centaines d’hectares. Ma première sensibilité au climat c’est dans le domaine familial en Normandie. Je regardais avec mélancolie les vastes champs de céréales et on attendait le temps. Va-t-il pleuvoir ? Ne va-t-il pas pleuvoir? Parce que le blé il préfère un été chaud et sec. J’ai cette sensibilité qui vient de la crainte familiale sur l’exploitation, à l’époque, qu’à cause du mauvais temps les récoltes seraient mauvaises.

 

Interview réalisée par Bernard STEPHAN le jeudi 15 octobre 2015. 

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