Entre Pontours et Lalinde, dans une zone de la rivière très agitée, un chapelet de bélisses, îles portant des bosquets d’aulnes et refuges de cygnes blancs, constituent un paysage immuable. Tellement ancien que jadis s’appuya sur l’île d’amont le gué d’une voie gallo-romaine.
Sur la rive gauche de la Dordogne en amont de Lalinde, entre le village de Pontours et le château de Paty, la rivière est ponctuée d’une bonne vingtaine d’îles ; les bélisses. Ce ne sont pas des îles sur lesquelles on peut prendre pied pour construire sa cabane de pêcheur. Nos bélisses sont des îles qui
n’offrent pas l’hospitalité toute l’année. En période de hautes eaux point d’appontage possible, seule une partie de la végétation apparaît, le sol est sous les flots.
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Ces bélisses sont mouvantes avec le temps, elles se constituent sur ce qu’on appelle les « plâts » ou « platans », des barres rocheuses affleurantes qui retiennent les limons au fil du courant, des végétaux qui passent, des bois flottants. La barre retient aussi au moment des crues les graviers et les sables
emportés et fixent les sédiments. Et peu à peu se forme notre île qui va se stabiliser avec la végétation qui va s’y installer. Les bélisses, au début de l’été, sont entourées de radeaux de renoncules aux fleurs blanches. Au moment des plus fortes crues certaines d’entre elles, sous les assauts des eaux, peuvent disparaître et le cycle recommence.
Bélisse, mot à double sens.
Le mot même bélisse, de l’occitan périgourdin beliço, renvoie à un double sens puisqu’il désigne aussi un arbre des eaux, l’aulne ou vergne. L’aulne aime avoir les pieds dans l’eau, rien n’est donc mieux pour cet arbre que de vivre sur une île de la Dordogne où il baignera la moitié de l’année. Le mot local pour désigner l’aulne est vergne avec ses variantes occitanes selon les dialectes ; lo bernhe, lo vernhàs, la vernhassa et lo belisso sur la Dordogne ou
bélisse en français régional. C’est un bois qui pousse évidement en bord de rivière, d’étang et de ruisseau. Le bois d’aulne, jaunâtre, a la particularité de se colorer de rouge au contact de l’air après son abattage. Imputrescible sous l’eau, il fut le bois des cités lacustres, mais chez nous il fut celui des pieux des pêcheries sur la Dordogne, des pieux des ponts, ainsi que des arbres des roues à aubes des moulins à eaux. L’écorce d’aulne, macérée, fournissait un
colorant noir. L’autre arbre particulièrement inféodé à notre milieu des îles est le saule qui peut rester sans problème les pieds dans l’eau deux cents jours par an. On peut aussi y trouver le frêne et le peuplier noir. Sur le cadastre Napoléon (1830) sont portées six îles entre Pontours et Paty. Une photo aérienne de 1950 (site web Géoportail) révèle une quinzaine d’îlots. Lorsque l’étiage est au plus bas, la plupart des îlots sont réunis pour n’en former qu’un seul sur deux cents mètres de longueur environ.
Jadis navigation difficile
Cet ensemble d’îles est située dans une des zones où la navigation ancienne en gabarre était très problématique en raison notamment des hauts fonds, des barres rocheuses, des rapides, des chenaux étroits et de l’encombrement même des bélisses. La zone concernée s’étend du village de Pontours jusqu’à l’aval de Lalinde, sur trois kilomètres. Elle débute avec une ligne de rapides qui coupent la rivière, le Grand Thoré, et s’achève avec un chenal étroit entre de haut fonds qui affleurent, le Saut de la Gratusse. Le franchissement de cette portion de rivière imposait une navigation en eaux dites « marchandes » entre octobre et mars, toute la période d’étiage l’interdisait. Mais le passage en hautes eaux n’était pas de tout repos, les écueils pouvant toujours être à fleur d’eau. D’où la nécessité d’embarquer à Badefols ou à Pontours des « pilotes de Gratusse » ayant la connaissance du paysage du fond de la rivière, une corporation qui fut active tant que la batellerie anima la rivière avant que le canal de Mauzac à Tuilières ne détourne le trafic à partir de 1844.
Aux temps antiques
C’est en amont de la ligne d’îles que prit appui depuis l’Antiquité, mais probablement depuis la protohistoire, le gué de Pontours qui à l’origine est un gué naturel (avec franchissement les pieds dans l’eau), qui traversait en diagonale la rivière depuis l’appontement de Pontours jusque vers l’actuel site du Pont de La Bouriette en rive droite. Ce gué naturel (en période d’étiage) fut consolidé, aménagé, à l’époque gallo-romaine. Il s’appuyait sur la première île
d’amont. Au XIXè siècle, des fouilles conduite par le Dr Chaume (Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, 1908, T.XXV) ont révélé des vestiges de chaussée et de rambarde. Ce gué se situerait sur l’ancienne grande voie romaine d’Agen à Périgueux.
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Poissons, oiseaux, des îles de cocagne
Riche en poissons, la rivière a vu fleurir au cours des temps les pêcheries sédentaires. On est certain que trois pêcheries au moins barraient une partie de la rivière dans ce secteur. L’une au droit du château de Badefols très en amont de la zone, une autre au bas de la ligne des bélisses, au droit du château de Paty, juste en amont d’un bac à passage saisonnier allant droit
au lieu-dit Le Port de Lalinde, la troisième en aval de la bastide de Lalinde, passé le Saut de la Gratusse. Les pêcheries de Badefols et de Paty étaient des dépendances seigneuriales, celle de Lalinde appartenait à la communauté de la bastide. Sont encore visibles, notamment en aval des îles, au plus près de Paty, creusés dans le lit de la rivière, les trous de la ligne de piquets
sur lesquels étaient tendus les filets des pêcheries.
Plusieurs espèces d’oiseaux sont inféodés à ce milieu aquatique et fréquentent les îles. Ce sont par exemple les cormorans, les hérons, les canards sauvages, les martins pêcheurs et bien sûr les cygnes blancs. D’ailleurs certains offices de tourisme ont, dans leurs documents, baptisé ces bélisses « les îles aux cygnes ». Ces cygnes blancs sont apparus sur la Dordogne et sur le canal de Lalinde au milieu des années 1970. Ils ont été décimés en en 2018 par une pandémie et ont reconstitué leur population. Sur les bélisses et
alentours ils sont environ deux cents aujourd’hui et ils y nichent.
Bernard Stéphan (cet article a été publié dans le magazine Secrets de Pays n°24 en 2024)