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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Les pierres meulières en Périgord

Publié par Bernard Stéphan sur 28 Mai 2024, 09:23am

Catégories : #Patrimoine, #recherches sur le paysage

 

De nombreuses carrières témoignent de la longue exploitation des pierres meulières pour les besoins des moulins. A usage local, elles étaient aussi chargées sur les gabarres de la Dordogne pour aller équiper les moulins d’un grand Sud-Ouest.

Meule de pierre à Saint-Crépin-de-Richemont (24)
Sur le site de Saint-Crémin-de-Richemont (24) un meule en phase d'achèvement. (Ph. BS)

Le nombre important de moulins sur nos rivières, y compris les petits cours d’eau a débit très faible durant les étiages, est une indication du besoin en pierres meulières. Ce sont ces pierres arrondies, en forme de camembert, taillées dans du grès ou assemblées à partir de quartiers de silex en particulier, qui servaient à moudre le grain. La qualité de la pierre était un paramètre très important, selon son grain, sont usage était adapté à telle céréale plutôt qu’à telle autre, à telle demande de mouture plutôt qu’à telle autre. On voit aujourd’hui nombre de ces pierres meulières détournées en élément de décoration dans les parcs, jardins et même sur les ronds-points. Mais il faut savoir qu’avant la réalisation de ces grands « disques », avant que les moulins à eau ne s’installent sur les rivières et n’en aient l’usage, l’homme a commencé à écraser le grain pour en tirer une farine grossière et fabriquer ses premiers pains ou cuire des bouillis.

Ce premier usage on le retrouve au néolithique à partir du moment où les céréales ont été cultivées et où le chasseur-cueilleur se sédentarise et se fait agriculteur. C’est le début du premier usage de la pierre meulière. Une roche abrasive qui permet grâce au frottement de deux pierres l’une sur l’autre d’écraser le grain qui prend place entre les deux. L’autre technique est celle de l’écrasement. Grâce à un pilon en pierre on concasse le grain déposé sur une pierre meulière légèrement excavée. La mouture obtenue peut être considérée comme la première farine complète de l’humanité. On en trouve la forme empirique dans certains des grands sites d’extraction de la pierre meulière de Dordogne. Par exemple sur le site de Saint-Crépin-de-Richemont où on a extrait pendant des millénaires l’arkoze, un grès bleuté très abrasif. (1)

Le meunier était confronté à un problème essentiel, le choix de la bonne pierre d’autant que les sites d’extraction sont rares. Cette pierre ne doit pas se dissoudre sous l’effet de l’eau (sont donc exclus les calcaires et les gypses). Il s’agissait donc de choisir une roche gréseuse très abrasive. Il y aura deux types possibles de meules. La première est faite d’une pièce unique, tel un grand fromage rond. C’est celle que l’on fabriquait à partir des quartiers de roche extraits des carrières de Saint-Crépin-de-Richemont.  La seconde est dite meule à carreaux et c’est celle qui a été dominante dans le sud du Périgord. Elle est composée de plusieurs quartiers de pierre assemblés entre eux et jointés de ciment et ceinturé d’un cercle de fer.

Meule à huile de noix.
Sur la commune de Paunat (24) une ancienne meule a écraser les noix en usage dans un moulin à huile. (Ph. BS)

Le site de Sainte-Sabine

L’exploitation des meulières a connu son maximum d’activité dans la seconde moitié du XIXè siècle concomitante de la forte densité de moulins sur tous nos cours d’eau.  D’autant qu’aux moulins fariniers se sont ajoutés les moulins à huile de noix eux aussi demandeurs de meules pour écraser les cerneaux. Un troisième type de moulins fut très actif, notamment dans la vallée de la Couze, ce sont les moulins à papier, mais ceux-là n’usaient pas de meules.

Dans le sud du Périgord un site important d’extraction de pierres meulière se trouvait sur le territoire de la commune de Sainte-Sabine. Il n’est aujourd’hui que de flâner dans le bourg de ce village pour observer près de l’église une meule typique fabriquée à partir des pierres du pays. La carrière de pierres meulière était sise près du lieu-dit Larocal où se trouve un grand bois ainsi que des talus de roche qui ont été ouverts par les carriers. La particularité des fabrications de Sainte-Sabine était des pierres assemblées et non des pierres d’un seul bloc. Elles contenaient notamment des silex qui étaient recherchés comme pierre dure pour l’écrasement sans laisser de résidu minéral dans la farine. L’assemblage ne se faisait pas sur place. Les quartiers de pierre étaient expédiés dans un atelier de faiseurs de meules qui souvent se situait en proximité de la rivière Dordogne pour faciliter l’embarquement des meules sur une gabarre.

… Celui de Saint-Crépin-de-Richemont

Le second grand site est celui de Saint-Crépin de Richemont dans le Périgord vert, pas loin de Brantôme. Il s’agit d’une exploitation de grès dans des fosses qui ont été ouvertes sur un coteau avec des fronts de taille et dont l’exploitation est très ancienne puisque les premières traces remontent au néolithique avec la fabrication des premières meules à main. La roche de Saint-Crépin est un gré grossier à graviers liés par une forme de ciment siliceux. Cette roche permettait de façonner des meules d’un seul bloc. Elle laissait un résidu gris et rouge dans la mouture, raison pour laquelle ces meules étaient d’abord utilisées pour moudre le seigle dont la farine est naturellement grise.

Carrière de meules à Saint-Crépin-de-Richemont en Dordogne.
Front de taille dans une carrière du site de Saint-Crépin-de-Richemont (24).

 

Dans l’extrême nord-ouest du Périgord les moulins se sont fournis en meules du calcaire de Claix et Roullet (carrières situées à quinze kilomètres au sud d’Angoulême) en Charente, dont l’abrasivité était recherchée et dont la teinte très blanche ne salissait pas le froment et rendait ainsi une farine sans aucun débris coloré. (2) Un inventaire général conduit sur le site a permis d’estimer à 50.000 au moins le nombre de meules qui y ont été extraites et façonnées.

Les meulières de Domme

Un autre site majeur de la production de meules en Dordogne est celui dit de la plaine de Bord près de Domme, attesté depuis le XVIIè siècle. Le site est improprement appelé « plaine » puisqu’il s’agit du plateau sur le coteau de Domme à 300 mètres d’altitude au sud de la bastide. Huit carrières ont été ouvertes au cours des années d’exploitation. La pierre meulière de Domme est à dominante de silex. L’enquête statistique, dite de Cyprien Brard, conduite en 1834 (3) précise à la question sur les carrières présentes sur la commune qu’il existe sur « la plaine de Born » une carrière exploitée de « silex meulier ». Cette pierre avait la particularité de s’user moins vite que d’autres et notamment celles fabriquées à partir de la roche des carrières au plus proche de Paris. D’où le grand succès de la pierre de Bord. Une très grande majorité des meules à silex que l’on trouve encore aujourd’hui dans les moulins et anciens moulins du Sud-Ouest viennent de la plaine de Bord. Au point que La Société Générale Meulière dont le siège était à La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne) implanta une fabrique de meules à Cénac-Saint-Julien à la fin du XIXè siècle (4). La pierre extraite sur le plateau était ainsi transportée avec des attelages de bœufs vers les ateliers sis à Cénac où une corporation d’ouvriers assemblait les quartiers pour aboutir à la meule finie avant son embarquement sur des gabares sur la Dordogne pour sa destination finale. Le journal L’Echo de Vésone, dans une édition de mai 1850, dressait le bilan de l’activité des ports de Périgueux, sur l’Isle, et de Bergerac, sur la Dordogne, pour l’année 1849. Pour ce dernier, le bilan relate un mouvement annuel de 805 bateaux arrivant et de 720 bateaux partant. Et parmi ceux-ci, un fret de pierres meulières pour une valeur de 24.030 francs. Ce qui représente environ 5% du fret annuel du port. A la fin du XIXè siècle les meules prirent une autre voie, transportées par train (5), embarqués à partir de la gare de Vézac. Au XIXè siècle les pierres de la plaine de Bord trouvèrent un nouveau débouché, commandées par les porcelainiers de Limoges pour fournir des pavés de silex destinés à broyer le quartz nécessaire à la fabrication des objets en porcelaine. L’activité des carrières de la plaine de Bord fut marquée par une longue et dure grève des ouvriers de Cénac en 1908, elles furent encore très actives au début du XXè siècle et totalement fermées au début des années 1950.

Recensement napoléonien des meules

Plus près de Monpazier on a découvert une carrière à meules au Roc de Michel sur la commune de Capdrot. Il s’agit d’un grès rose qui aurait été exploité depuis le Vè siècle. Ont été mises à jour ainsi des meules de moulin ainsi que quelques meules domestiques qui furent utilisées dès la fin du néolithique pour écraser le grain à l’usage d’une famille ou d’un groupe villageois. (6) On a recensé en Dordogne 78 sites d’extractions de pierres meulières dont par exemple en Bergeracois, à Conne-de-La Barde ou à Saint-Aubin-de-Lanquais.

Dans les carrières de meulières à Sainnt-Crépin-de-Richemont (24).
Bloc de grés à Saint-Crépin-de-Richemont (24). Quand la meule prenait forme... (Ph.BS)

De 1794 à 1809 les gouvernements napoléoniens diligentèrent une enquête d’inventaire des moulins en France. Cette enquête a collecté de nombreux renseignements dont la provenance des meules de chacun des moulins. C’est ainsi par exemple que pour le département de la Haute-Garonne on trouve de nombreuses meules provenant de l’arrondissement de Bergerac. (7)Les meules de cette région du sud du Périgord partaient sur des gabarres jusqu’au Bec d’Ambes et remontaient la Garonne, toujours en gabarre, jusque vers Toulouse avant d’aller chez des revendeurs pour meuniers. Après quoi le transport se faisait sur de lourds fardiers tirés par deux attelages de bœufs pour rejoindre le moulin à équiper. Les meules étaient faites pour durer et les meuniers usaient de la technique du rhabillage pour allonger le temps de leur usage. Il s’agissait de repiquer la meule à l’aide d’un marteau spécial pour rénover la surface altérée par l’usure et la rendre à nouveau efficiente.

Au XXè siècle mécanisation des machineries, la mort des petits moulins, la déprise agricole, les vagues d’exodes ruraux, se sont conjuguées pour que l’exploitation des carrières et la fabrication de meules de pierre ne soient plus qu’une histoire passée.

Bernard Stéphan

(1) On a recensé 78 sites d’extraction de pierre meulières en Dordogne sur trente-trois communes. André Guillin a auto-édité en 2016 une étude intitulée Meuliers et Meulières en Périgord.

(2) Clochard Delphine, Les meulières de Claix/Chaumes du Vignac : mémoire d'un site. Rapport au Président du Conservatoire d'Espaces Naturels et des Sites de Poitou-Charentes, Gençay, Association Régionale pour la Promotion de l'Ethnologie en Poitou-Charentes (ARPE), 2004, 88 p.

(3) Cette enquête est à retrouver dans son entier, dans son détail, en ligne sur le site web des archives départementale de la Dordogne à la rubrique Archives Numériques.

(4)Lacombe Claude, Les meulières de la plaine de Born, à Domme (Dordogne), du XVIIIe au XIXe siècle, in M. BARBOFF, F. SIGAUT, C. GRIFFIN et R. KREMER, Meules à grains. Actes du colloque international de La Ferté-sous -Jouarre, 16-19 mai 2002, Paris, Ibis Press-Maison des Sciences de l'Homme, 2003, pp. 312-333.

(5) C’est en 1882 que la section ferroviaire du Buisson à Sarlat est ouverte et que le train peut desservir la vallée de Domme.

(6) In bulletin du GAM n° XX , 2011.

(7) Dans son livre Moulins & meuniers, Montferrand-du-Périgord, ed. Esprit de Pays, Jean Darriné évoque l’enquête de 1809 et indique que les meules des moulins de Montferrand-du-Périgord proviennent de Larocal (commune de Sainte-Sabine), de La Merlin (commune de Cussac), des Gavachoux (commune de Cadouin) ainsi que d’une carrière dans la forêt de La Bessède.

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