Le loup revient. En 2015 un loup a été abattu dans un poulailler à Saint-Léon-sur-l'Isle. Il y a peu, début 2022 on a repéré un probable loup en Périgord Vert. Il y a encore moins longtemps c'est dans le Médoc en nord Gironde que le loup a fait son apparition. Alors le retour ? Et pourtant, pendant des siècles il fut la hantise des campagnes, les pouvoirs publics organisant sa traque jusqu’à sa disparition définitive en Périgord au milieu du siècle dernier. Petite histoire de cette traque...
En mars 1766 c’est une « Bête Féroce » (contemporaine de l’affaire de la Bête du Gévaudan) qui sème la peur dans une partie du Sarladais et du Périgord méridional. Est-ce un loup ? On ne parle jamais de loup mais de « bête » et on perçoit que l’Eglise est à la manœuvre derrière ce vocabulaire pour accentuer la peur et rendre ses ouailles dépendantes. C’est durant l’été 1766 qu’une chasse officielle est organisée réunissant une centaine de fusils, elle viendra à bout de l’animal. La description de la bête tuée est loin de répondre aux canons traditionnels du loup : « Les jambes de derrière plus longues que celles de devant, la tête ressemblant à celle d’un renard, poil mêlé de gris et de fauve, ressemblant à celui d’un lévrier. » Le rapport officiel mentionne par ailleurs que l’animal « avait tous les symptômes de la rage ».
Antérieurement le 3 juin 1739 la population a enterré un certain Jean Berbessou âgé de 8 ans, tué « par la cruelle morsure d’un loup qui lui a séparé la tête et mis le corps en pièces." On note par ailleurs une concomitance climatique entre les attaques et les grands froids. C’est ainsi le cas dans tout le Périgord pendant le grand hiver de décembre 1765 à février 1766.
Plus tardivement ce sont quatre cents fusils réunis pour une battue en Périgord Vert en 1910, dans la forêt de la Durantie près de La Nouaille, pour traquer un probable loup qui s’attaquaient aux troupeaux de moutons.
Dès le lendemain de la Révolution les pouvoirs publics décident d’en finir avec les hardes de loups qui peuplent le pays. En l’An II une prime est attribuée pour tout destructeur de loup. Elle est de 20 francs par tête de louve pleine, de 15 francs par tête de loup mâle, de 8 francs par tête de louveteau. Une prime supplémentaire (entre 30 et 100 francs) est ajoutée si l’animal abattu s’est auparavant « jeté sur un homme ou des enfants ». La prime va durer. En effet le préfet de la Dordogne prend un arrêté le 12 juin 1929 pour octroyer une prime de 20 francs à Jean Burguet pour destruction d’un louveteau, à Sarlande. Dans chaque arrondissement la lutte est organisée, placée sous l’autorité des lieutenants de louveterie.
Dans les forêts du Périgord
Un état des lieux, au moment du Consulat (An VIII) signale une présence effective de loups dans la forêt de la Bessède, dans la forêt de Liorac et dans la Double. Au début du XIXè siècle le loup, malgré son repli est encore très présent dans un grand centre du pays, en Périgord, sur les limites nord de l’Agenais, en Limousin, en Auvergne, en Rouergue. Ce sont bien sûr les massifs forestiers qui sont les refuges des loups et donc les zones ciblées par les battues. Une « expédition » a lieu dans la Double le 29 janvier 1795, quatre cents chasseurs y participent.
La psychose existe en Périgord comme dans d’autres provinces. C’est ainsi qu’en 1766 on évoque « la bête de Sarlat » qui va mobiliser tout ce que le Périgord noir compte d’hommes valides pour traquer « le monstre ». Les rapports de l’époque évoquent « une bête dédaignant les femmes, qui ne s’attaquait qu’aux hommes ».
Dès 1797 des campagnes d’empoisonnement à la noix vomique sont lancées, promus par les représentants de l’Etat. Cet usage de la noix vomique sera pratiqué durant tout le XIXè siècle.
La bête de Saint-Géry
Il semble bien que certains villages soient voués au loup comme d’autres l’étaient au mauvais œil. C’est le cas de Saint-Géry dans l’ouest du département. Le 28 juin 1806 le maire de Saint-Géry écrit au sous-préfet de Ribérac pour lui signaler les exactions d’une bête qui « lundy dernier (…) a pris un enfant de quatre ans devant sa porte, l’ont à moitié dévoré avant qu’on ay pu parvenir à le leur arracher. » Jusqu’au prêtre de Saint-Géry qui, toujours en 1806, se livre ainsi à la description de l’animal : « Cette bête est de la grosseur d’un gros chien danois, elle a la force d’un lévrier, le museau allongé, la gueule très ouverte, c’est-à-dire fendue, les oreilles courtes, larges et droites, poil rouge, queue longue, effilée, entortillée, relevée dans le dos, ses traces ressemblent à celle d’un loup. Cet animal paraît très avide de chair humaine, on pourrait placer dans les lieux où il gîte des enfants postiches sous les haillons desquels on cacherait des viandes empoisonnées. »
La bête s’enhardit, les faubourgs mêmes de Périgueux sont visités par les loups. Les archives départementales de la Dordogne ont conservé une lettre du maire de Chancelade adressée au préfet en 1809. Le premier magistrat attire l’attention du représentant de l’Etat sur la prolifération des hardes qui viennent la nuit et font courir un danger dans les faubourgs de la ville. Une battue sera organisée aux abords du Périgueux en 1810 pour un tout petit résultat : au tableau un seul loup.
A Mouleydier attaqué avant de souper
Il faut lire la lettre pathétique et pleine de détails du maire de Mouleydier datée du 20 juillet 1812 et adressée au préfet de la Dordogne. L’auteur narre l’aventure d’un certain Magot, citoyen de sa commune : « Je m’empresse de vous rendre compte d’un événement bien extraordinaire arrivé hier à 9 heures du soir au village de Tuilières. Guilhem Magot reposait assis avec ses enfants au clair de lune au-devant de sa porte c’était le moment où les habitants de la campagne se disposaient au repas, le village était en paix, les voisins s’étaient faits le dernier adieu, au même instant un loup affamé passa. Magot effrayé lui crie comme pour le faire fuir. Le loup fuit un instant. Magot le poursuit sans arme offensive ni défensive. Mais à peine a-t-il fait quelques pas que le loup rebrousse chemin, lui saute au travers, l’entraîne et le couche dans le fossé sur le bord de la grande route et lui meurtrit le bras. Jean Royère accourut. Les enfants s’étaient saisis du loup par derrière. Le loup se débat en vains efforts, les voisins arrivent de toute part, le tuant, tandis que le loup tient encore Magot. Mais le malheureux Magot reste presque sans connaissance. Il est emporté dans sa maison, il a de fortes meurtrissures aux bras, on ignore si le loup était enragé. »
Les deux tireurs de Montferrand-du-Périgord
A la fin du XIXe siècle on continue de tuer des loups, ainsi à Saint-Georges-de-Montclard le 11 décembre 1885. Pour tenter d’en finir les pouvoirs publics du département de la Dordogne décident d’augmenter la prime d’abattage en 1886. Au tournant du XXe siècle les loups ne semblent plus attaquer les gens, en revanche ils sont toujours des prédateurs pour les animaux des métairies. On continue donc la traque. Le 19 mai 1892 c’est sur la commune de Montferrand-du-Périgord que deux habitants accrochent un loup à leur tableau de chasse. On connait même le nom des tireurs qui vont recevoir la prime, il s’agit d’Antoine Larbaudie et de Raymond Meynaud.
La dernière recrudescence des loups en Dordogne est attestée dans l’entre-deux-guerres. Un spécimen est tué dans les collines du Périgord Vert, à Firbeix, le 5 septembre 1927. Le dernier est abattu sur la commune de Javerlhac-la-Chapelle-Saint-Robert le 6 décembre 1940.
Bernard Stéphan