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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


La châtaigneraie, ce pain perdu

Publié par Bernard Stéphan sur 7 Octobre 2024, 11:03am

Catégories : #mémoire rurale

La châtaigneraie, ce pain perdu
La châtaigneraie, ce pain perdu

Que reste-t-il des châtaigneraies ?.- (actualisé en octobre 2024). Les châtaignes ont été ici, longtemps, le fameux « pain de bois » dont parle Ariane Bruneton-Governatori. (Le pain de bois, ethnohistoire de la châtaigne et du châtaignier, Editions Eché, Toulouse, 1984).  Au milieu du XIXè siècle la Dordogne est dans le peloton de tête de neuf départements où la châtaigneraie occupe les plus grandes superficies avec 98.551 hectares en 1841 et encore 50.000 hectares en 1871.

Nous sommes en zone de petites exploitations et si le métayage est le faire-valoir majeur au XIXè siècle, les parcelles attachées aux métairies sont petites. C’est ainsi qu’on va trouver des châtaigneraies de quelques dizaines d’arbres seulement voire même d'un ou deux arbres à proximité des bâtiments de la ferme. Ce sont ces châtaigneraies aux arbres séculaires, au tronc creux et aux trois quart séchés que l’on peut deviner encore aujourd’hui sous les taillis. On plante généralement des arbres rustiques que l’on greffe. La châtaigneraie est alors un verger entretenu avec soin.

Non seulement elle offre ses fruits, mais elle fait l'objet d'une exploitation totale, avec le bois on fabrique les meubles, les outils, avec les tiges de feuillards on cerclaient les barriques de douelles de châtaignier, avec les latte fine on tresse des paniers. On  tirait aussi du bois les piquets, les poteaux de mine, les carrassonnes, ces échalas tuteurs des vignes et bien sûr du bois encore qu'on brûlait pour obtenir le charbon de bois. 

Châtaigneraie labourée en Limousin

Est-elle labourée en sud Dordogne ? Je n’en ai pas trouvé trace, on sait en revanche formellement qu’il y avait un labour des châtaigneraies en Limousin, mais aussi en Sarladais et on y pratiquait des cultures intercalaires qu'on désigne aujourd'hui du terme savant d'agro-foresterie. Comme dans le pays de Figeac en Quercy où elles étaient semées de seigle ou d’avoine. A propos de la paille de seigle mûrie à l’ombre des châtaigners, Ariane Bruneton-Governatori rapporte ainsi un témoignage daté de 1790 : cette paille « conserve une couleur vert pâle et une souplesse qui la fait rechercher par les tourneurs tisseurs de chaises et qu’ils la mêlent avec le jonc vert des étangs pour lui donner plus de force. »

Fruit ou légume, la châtaigne aura été longtemps un symbole de subsistance. Elle prend des formes diverses en Périgord avec les châtaignes bouillies à l'eau ou au lait ou blanchies, les châtaignes grillées, la pulpe réduite en farine pour fabriquer pains ou pâtisseries.

Les veillées pour déguster les virols

A sa manière elle participe d’un lien social communautaire puisqu’on  se rassemble pour les ramasser. Toute la famille est mise à contribution mais aussi des voisins et la parenté qui souvent vient de loin. Et lorsque la récolte est terminée, les châtaignes stockées, on se retrouvera dans les premières veillées d’automne pour échanger, raconter, on  mangera les virols, ces châtaignes grillées au feu de bois au travers d’une grande poêle percée chauffée à même la flamme du foyer.
Exemple d'un monumental et très vieux châtaignier témoin d'une châtaigneraie d'antan dans la forêt des Divises sur les coteaux, au sud de Lalinde en Périgord.

Elle est aussi à la base (avec les glands) de l’engraissement des porcs.  Dans son étude Subsistances et population en Périgord 1740-1789, l’historien Richard Baudry voit dans la châtaigne un élément fort de l’économie rurale de la fin du XVIIè siècle : « En Périgord, l’élevage du cochon se maintient grâce à la châtaigneraie qui, en dépit des ravages de 1709, engraisse les jeunes cochons venus du Quercy ou des montagnes d’Auvergne. Les marchands en débitent le lard dans tout le royaume et vendent une partie de leurs bêtes sur pied dans les foires, comme celle de La Jemaye, dans la Double (…) »

Quand les châtaignes manquent

A l’inverse de Richard Baudry évoquant la situation un demi siècle plutôt, M. de Bernage, intendant de la généralité de Limoges, tente dans un rapport du 2 octobre 1692 de faire percevoir la situation périlleuse des populations à la suite de la pénurie de châtaignes notamment : « ... J'avoue que je ne pouvais pas croire ce que je vois. Toutes les châtaignes sont perdues, et la plus grande partie des blés noirs. Les seigles ont beaucoup soufferts il y aura si peu de vin que le prix en augmente tous les jours. Il y a un peu plus de blé que l'année dernière mais en vérité, la châtaigne et le blé noir ayant manqué, il ne suffira pas jusqu'au Carême pour la nourriture des habitants. Et ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que les élections d'Angoulême et de Saint-Jean-d'Angély sont encore plus maltraitées à proportion que le Limousin. Le mal est si grand que, sans un grand remède la généralité tombera à n'en revenir de longtemps... La plus grande partie des bestiaux ayant été vendue ces deux dernières années, et la récolte étant aussi mauvaise qu'elle est, je ne sais pas de quoi on fera de l'argent pour payer les impositions. »

Châtaignier sur les pentes du village de Ségur-le-Château en Corrèze. (Ph. BS)

L'exploitation du tanin

Localement le châtaignier eut un autre usage au début du XXè siècle. On exploitait le bois pour en extraire le tanin. Une importante manufacture de tanin, l’usine Rey à Couze (Dordogne), fondée en 1899, était grande consommatrice de bois. Le tanin destiné à l’industrie du cuir était expédié dans des fûts sur les bateaux via le canal latéral à la Dordogne. Il fallut la mise en garde des élus locaux et de la Chambre des députés pour freiner l’exploitation du bois qui mettait en péril même les châtaigneraies. C’est la guerre de 1914-1918 qui mit un coup d’arrêt à l’exploitation du tanin de châtaigniers au profit de produits de substitution.

Investissement pour les générations futures

Le châtaignier ou arbre à pain qui fournit la subsistance ultime pour l’homme mais aussi l’intermédiaire pour engraisser le cochon, est un arbre des générations. Dans les petites propriétés agricoles il est une sorte de richesse patrimoniale et une valeur refuge pour soit et pour les générations futures. Alors que la forêt ici faite de mauvais et chétifs taillis  n’offre guère de revenus. On se transmet les châtaigniers avec l’espoir qu’ils portent la récolte de demain. Une génération plante et greffe et c’est la suivante qui récolte et qui accompagne la croissance pour la troisième génération. Un châtaignier atteignait sa plénitude à l’âge de cinquante ans. On jouait avec des variétés différentes selon l’usage. Consommation humaine ici, consommation animale là, grosses châtaignes à vendre sur les marchés, châtaignes plus rustiques et plus résistantes mais plus petites, qu’on conserverait à la cave sur un lit de paille une partie de l’hiver.

Après la récolte, les cochons étaient laissés libres ou sous la garde d’un enfant, ou d’une jeune femme ou des vieillards, pour une libre pâture forestière sous le couvert des châtaigniers pour manger les fruits non récoltés et pour aller explorer tous les couverts pour la glandée d’automne.

On est évidemment loin des marrons (glacés) servis le soir de Noël. Ici les châtaignes sont un aliment d’usage des paysans pauvres et participent à une subsistance pour bêtes et gens, c’est la raison pour laquelle on a longtemps entretenu avec un soin de jardinier les châtaigneraies ne fussent-elles plantées que de quelques arbres.

 

 

 "L'espèce décline depuis cinquante ans !"  

 

 

La mort des châtaigniers reliquats des châtaigneraies  issues de la fin du XIXè et du début du XXè siècle  fait son œuvre. J’ai trouvé un exemple dans le journal l’Yonne républicaine à l'automne 2012. On entretient toujours le culte de la châtaigne  pour une traditionnelle fête à Diges au cœur de la belle région naturelle de la Puisaye. Nous sommes ici dans un grand pays de bois, de futaies, de landes, d’étangs, pays des potiers, des chasses, des métiers des bois en pays d'Oïl. On y a entretenue des châtaigneraies qui ont été liées tout le XIXè et une partie du XXè siècle à une petite paysannerie pauvre qui trouvait là un complément. Quelques grands domaines fonciers ont aussi planté de véritables vergers qui ont souvent été rendus à l’invasion forestière avec la fermeture paysagère progressive. Aujourd’hui on ne récolte que des reliquats d’un verger qui fut particulièrement dynamique. Et si la fête de Diges est ancienne puisque fondée en 1861, ces dernières années elle ne devait fournir à ses visiteurs que des châtaignes venues d’ailleurs faute de récolte locale.  Le quotidien L’Yonne Républicaine daté du 19 octobre 2012 citait ainsi un spécialiste local : « L’espèce décline depuis une cinquantaine d’années. Aujourd’hui, les dernières personnes à avoir greffé des châtaigniers ont disparu. Il y a beau temps que l’entretien des arbres est parti à vau-l’eau. » Plus récemment j'ai découvert que le bois de châtaignier pour l'usage des menuisiers dans le sud Dordogne est rarement produit en Périgord. Il nécessite de gros troncs, bois qui n'existe pratiquement plus en Dordogne. Les bois nécessaires arrivent d'Ardèche. Dans Sud-Ouest (édition de la Dordogne) du 11 janvier 2022 la gravité de la maladie qui affecte le taillis de ch^pataigniers en Dordognbe fait craindre une disparition pure et simple de la châtaigneraie à moyen terme. Ce serait la fin d'un écosystème qui a marqué profondémlent la culture rurale d'ici et ce serait aussi un changelment total de l'environnement.

 

Pour les "sachants" c'était l'arbre des fénéants !

Il a toujours nourri les paysans, il fut la roue de secours de tous les petits paysans pauvres du Périgord et leur assistance dans les périodes de disettes. Et les pires disettes eurent lieu les années de très faible productions de châtaignes. On disait même que c'était "la viande des pauvres". C'est au XIXè siècle avec l'arrivée de nouvelles pratiques agricoles, la diffusion des visions des physiocrates pour une nouvelle agriculture que la châtaigne, cette manne naturelle, est fustigée. Voici ce qu'écrit un agronome qui regarde avec condescendance le Périgord depuis la capitale: "On n'empoigne pas  volontiers la charrue ou la bêche sous un climat parfois trop pluvieux, lorsque tant d'arbres nourriciers assurent une nourriture presque  gratuite. Le châtaignier a engourdi les aptitudes agricoles des gens des basses vallées..." Jusqu'à cette note de l'Académie de médecine qui n'y va pas de plume morte pour fustiger les périgourdins mangeurs de châtaignes: "Ils sont lents et comme endormis , surtout après avoir mangé l'espèce de  mortier auquel ils donnent le nom de soupe." Et le physique de l'homme de ces campagnes seraient même affecté par cette nourriture à base de châtaignes. On lit: "Il est maigre, chétif, de petite stature. La lenteur du mouvement de sa mastication rappelle la lenteur des mouvements de la rumination de ses boeufs." Et ajoute une notice la Société Royale d'Agriculture de Limoges: "c'est une nourriture détestable à l'aspect dégoûtant qui rend ce paysan malingre et paresseux". N'en jettez plus !

 

Dossier: Bernard Stéphan

 

DSCN0805

Extrait de mon livre Le parler du Périgord

Virol (ou birol) n. m. 

De l'occitan (périgourdin). 

Châtaigne grillée ou rôtie dans la poêle à virols, poêle (padèle) à trous et à longue queue pour aller sur le feu du foyer dans la cheminée. Usage commun dans la vallée de la Dordogne, dans le Pays aux Bois, mais aussi plus au nord à la frontière de la Dordogne, de la Corrèze et de la Haute-Vienne en Pays Arédien.

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