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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Alain Corbin et la quête du silence

Publié par Bernard Stéphan sur 13 Juin 2016, 15:05pm

Catégories : #Littérature

Un lieu de silence: les estives du plateau du Guéry dans les Monts Dore en Auvergne. Seul le son des campanes des troupeaux vient souligner ce silence sur lequel a enquêté l'historien Alain Corbin.
Un lieu de silence: les estives du plateau du Guéry dans les Monts Dore en Auvergne. Seul le son des campanes des troupeaux vient souligner ce silence sur lequel a enquêté l'historien Alain Corbin.

Un lieu de silence: les estives du plateau du Guéry dans les Monts Dore en Auvergne. Seul le son des campanes des troupeaux vient souligner ce silence sur lequel a enquêté l'historien Alain Corbin.

Interview d’Alain Corbin, historien des sensations, auteur d'une Histoire du silence.- 

Est-ce que notre société fait du silence une étrangeté ?

Il est évident que notre société a peur du silence. Cette peur est très très nette chez les enfants et les adolescents qui se précipitent sur les jeux vidéos, sur la tablette pour occuper le silence alors que les générations passées, les gens de mon âge, c'était l'ordinaire pour un enfant de regarder par la fenêtre de sa chambre, ce n'était pas synonyme d'ennui. Il est évident qu'on a peur du silence qui peut aller à un certain tragique à une certaine terreur de se retrouver seul avec soi-même. Mais il y a malgré tout des gens qui cherchent le silence, qui le vivent encore aujourd'hui, les moines, les moniales, les randonneurs. J'ai traversé le Massif central à pied, dans  les deux sens, c'est à dire Saint-Chamont- Nîmes et Beaucaire-Conques en 1971 et 1972, j'ai fait le Gévaudan, le Velay, les Causses.

Vous évoquez bien ces silences de la randonnée. Vous parlez des bruits rares qui font émerger les silences...

C'était très bien évoqué par l'américain Henri-David Thoreau et il y en a d'autres, tous ceux qui sont sous l'influence du bouddhisme, ceux qui réunissent les gens pour travailler sur la décontraction, le retour  sur soi.

Vous surprenez lorsque vous décrivez les rites de cour à la cour royale, notamment de Louis XIV. Vous dite qu'il fallait faire silence lorsqu'on était courtisan, mais aussi lorsqu'on était roi. C’était donc une cour de silence...

On n'imagine pas Louis XIV bavardant à tord et à travers. La société de cour c'est l'intériorisation des normes. Et dans ces normes, il y a ne pas trop parler sinon on se met en danger, et il y a l'art de gouverner. Celui qui gouverne ne doit pas trop parler. Ces normes ont longtemps pesé. Les mémorialistes du XVIIIè siècle, La Rochefoucault notamment, disent bien qu'il faut savoir se taire. Et ça se transmet au XIXè avec le savoir vivre, le manuel du savoir vivre. Moi j'ai connu ça compte-tenu de mon grand âge : les enfants ne parlaient pas à table. Mon père était médecin de campagne, la famille de  ma mère c'était en grande partie des paysans de la Normandie. Et je me souviens du grand oncle Bournigot, on allait le voir à cheval le matin avec la carriole pour faire vingt kilomètres. On allait chez l'oncle Bournigot ! Il avait une grande moustache, on jouait le matin dans la  cour de la ferme et arrivait le repas. C'était la poule au blanc, c'est la Normandie ! C'était le riz à l’impératrice, lui il était au bout de la table et on ne prenait pas la parole sauf si on nous le demandait. Donc il y a cet art de se taire qui faisait partie du savoir-vivre et qui était un élément de distinction sociale. La distinction, c’était de savoir parler à bon escient, pas trop fort. Le paysans était taizeux, mais ils parlaient fort. Au XIXè siècle la confession dans les campagnes posait un problème.  Parce que le paysan taizeux ne savait pas parler mezzo voce, il disait ses pêchés dans le confessionnal à voix très haute comme chez lui, entendus dans toute l'église ! On pense qu'au XIXè siècle le peuple des villes gueulait, parlait fort.  Quand j''ai étudié le Limousin, j'ai étudié les 60.000 creusois et haut-viennois qui ont bâti Paris au XIXè siècle. J'ai regardé ce qu'on disait d'eux à Paris. On n'aimait pas ces limousins parce qu'ils se taisaient. Alors que les ouvriers parisiens parlaient sans cesse. Les limousins qui arrivaient, après le travail ils s'asseyaient au bord de la Seine et ils se taisaient. Ils étaient mal vue pour cela, ils n'avaient pas cette faconde. Ils étaient les paysans taizeux. Que j'ai connus, moi, puisque je suis originaire du bocage profond, du sud Cotentin, il n'y avait que des vaches et des prés.

Vos souvenirs renvoient aux paysans taizeux du Berry où le silence était rompu par le briolage, c'est-à-dire le chant des labours...

J'ai consacré un article aux paysages sonores des campagnes dans des « Mélanges » et j'ai étudié les chants de labours qu'évoque longuement George Sand. C'était le chant des lèves tôt qui montraient ainsi aux voisins qu'on était un travailleur et qu'on partait. Et puis il y avait le langage de l'homme vers l'animal. J'ai bien connu ça en Normandie où la bête de trait était le cheval. Il y avait un langage entre l'homme et l'animal, on entendait ces mots dans les campagnes.

Vous abordez le paysage sonore des villes et vous dites que ces bruits ont totalement changé et vous ajoutez même que les villes d'aujourd'hui sont moins bruyantes que celles du XIXè siècle...

J'ai travaillé là-dessus à partir des archives judiciaires. A la fin du XVIIIè siècle il y a les bêtes, énormément de bêtes, les chevaux, tout fait du bruit sur les pavés, les sabots des chevaux, les roues des charrettes. Mais à l'intérieur de Paris il y a des vaches, on allait se fournir en lait. Il y avait beaucoup de chiens errants. Il y avait début XIXè encore les tueries des bêtes, on tuait les bêtes dans les rues, le sang coulait au milieu de la rue. Les artisans étaient là, il y avait des forgerons dans les étages, il y avait les cris des métiers, les cris marchands, les cris régionaux, les gens se hélaient dans la rue. Bien sûr les bourgeois n'étaient pas vraiment là, ils ne circulaient pas au milieu du peuple, c'était les servantes qui allaient au contact, qui faisaient les petites besognes, les courses, etc, ajoutez les cloches et au total ça fait du bruit. Aujourd’hui pensez à tous ses groupes, associations, contre les bruits. Il a eu des tas d'actions. Sont apparus les affiches « Silence Hôpital », les affiches dans les ateliers: « Taisez-vous, ne parlez pas ». On a Nadar, le photographe, qui gueule contre les cloches. Et vont finir par cesser les cris dans la rue, on va finir par cesser de se héler dans la rue. Et il y a une révolution de la rue, c'est l'arrivée du pneu. Par rapport à la roue cerclée de fer, le pneu, impose le silence. Et la société a policé les bruits. Alors il y a d'autres bruits. Et même les avertisseurs sonores des voitures sont de plus en plus rares et les chiens n'aboient plus.

Comment le chercheur avance-t-il dans un tel domaine ? Car il n'y a pas d'archives sur le monde du silence...

C'est le point central. J'ai toujours travaillé sur archives, j'ai beaucoup travaillé dans les archives départementales. Mais on ne peut pas trouver d'archives sur le silence. Alors bien sûr on a des archives sur le paysage sonore, mais pas sur le silence. La poésie c'est un débat. Est-ce que la poésie peut être une source de l'histoire ? Quand vous parlez du silence dans la poésie c'est assez proche du journal intime. Alors où j'ai eu tord, c'est de ne pas avoir suffisamment chronologisé et montré que le silence du XVIIè siècle n'est pas celui des Romantiques, n'est pas le silence des Symbolistes ; faire une archéologie du silence.

Ce qui est intéressant c'est l'approche autour de la peinture, des tableaux. La peinture du silence...

J'aurais pu mettre beaucoup de Hopper. C'est le maître du silence ! Et je n'ai pas oublié, mais je n'ai pas mis la musique. Il y a des silences dans les portées.  J'écoute de la musique, mais je ne suis pas compétent.

Il y a un autre art dont vous ne parlez pas, le cinéma...

J'en parle un peu,mais très peu. Alors il y a le muet et le parlant. On dit que le muet est aussi parlant, il y a les visages, les expressions. Les cinéastes du début du parlant ont accordé beaucoup de place au silence et puis le silence est peu à peu évacué du cinéma et de la télévision. C'est révélateur. Et ces petits bruits qui expriment le silence, les cinéastes de l'après-guerre savaient les faire entendre au spectateur. Il semblerait, disent les cinéphiles, que les cinéastes ont évacué cette écoute des silences. Il y a de rares gens qui essaient de faire du silence, mais ils ne passeront pas à Cannes.

Il y a un support qui ne supporte pas le silence c’est la radio...

Ah oui ! On dit il y a une coupure ! Il y a une panne !

Vous avez un long chapitre sur le silence des amours. Et aussi le silence qui tue.

Je cite aussi un de mes collègues qui est assez humble et qui a beaucoup travaillé dans les archives. Là, c'est un exemple d'archives du silence. Il s'appelle Frédéric Chauveau, il est professeur à Poitiers, c'est un spécialiste des archives judiciaires et il a lu énormément d'archives de crimes. Et en  particulier les crimes conjugaux. Alors là, dans les archives il y a des allusions au fait que  les deux conjoints étaient dans la maussaderie, cessaient de se parler. Donc il a fait une histoire de la haine. Et là, il montre comment le silence s'est associé dans ces couples à la haine et a conduit au crime. Donc il  y a un silence de haine entre gens qui vivent ensemble, et ça, ça peut donner matière à archives.

Il y a un auteur, qui a été otage, Jean-Paul Kauffmann. Il évoque le silence de la captivité. Est-ce un silence particulier ?

Oui, le silence de la captivité. L’Étranger de Camus illustre ça. Selon les circonstances les silences ne sont pas les mêmes. Il y a les silences tragiques. Je n'ai pas évoqué le silence des voyages aériens, le silence dans la nacelle du ballon. Au XIXè siècle on a beaucoup écrit sur ces silences, des silences inouïs, jamais entendus. Il faudrait que j'ajoute un chapitre au silence des ballons, ils montaient très haut, ils avaient le paysage des nuages, ils dépassaient les nuages. Et il y avait le vol de nuit dans un ballon. Extraordinaire ! Parce qu'il y a un lien entre le silence nocturne et l'obscurité totale. Et aujourd'hui il n'y a pratiquement plus d'obscurité totale.

Le silence des villes le dimanche. Est-ce si surprenant ?

C'était un thème de conversation de mon adolescence. On disait que les gens en ville le dimanche se suicidaient. Mais la machine s'arrête.

Le secret est-il le silence ?

Oui. C'est le secret des sociétés secrètes, celui qu'on attribuait aussi aux francs-maçons. Les paysans traditionnellement sont gens de secrets.

Et la vie monacale ?

Pour de Rançay l'écoute de Dieu suppose le silence. J'étais enfant  et mon père ma emmené trois jours de Semaine Sainte à la Grande Trappe dans l'Orne. J'ai donc vécu, jeune, le silence monacal. On croisait les moines qui tous étaient en silence. J'avais été marqué par ça. C'est l'acmé de la vie monacale. Quand on se déplaçait dans les couloirs notre passage était annoncé avec la crécelle.

Aujourd'hui tous les gens sont connectés, ils n'écoutent plus silence. Est-ce que ce n'est pas regrettable pour le silence ?

Vous savez que je suis un dinosaure. Je n'ai pas de portable, on peut me joindre que sur mon fixe où il y a le répondeur. C'est la seule connexion que j'ai.

 

Interview Bernard Stéphan (réalisée à Paris le jeudi 12 mai 2016)

 

* Histoire du silence, d’Alain Corbin. Éditions Albin Michel. 203 pages, 16,50€

 

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