De passage à Bourges la semaine passé , invité du colloque national de la fédération des maisons d’écrivains et lieux d’écriture, Jean-Paul Kauffmann a participé à une causerie que j'ai animée.. Devant son public il s’est prêté au jeu des questions réponses et des confidences. Journaliste, ex-otage au Liban de 1985 à 1988, écrivain, installé aujourd’hui dans les Landes, amateur de vins, grand voyageur, grand lecteur de François Mauriac, il a parlé de tout cela. Florilège…
Il faut parler des otages. « Il faut bien sûr parler des otages. Ma libération elle n’a pu se faire que par la mobilisation. Il faut en parler, se mobiliser. Faire cela, c’est une protection pour celui qui est détenu. Patrick Chéneau m’a raconté qu’en Irak un pauvre Macédonien avait été enlevé. À Bagdad, il n’y a pas de représentation diplomatique macédonienne. Cet otage n’a pas été revendiqué par son pays ou par un groupe de pression. Quinze jours après il était exécuté. »
La sortie de captivité. «Pensez que je n’ai pas vu la lumière pendant trois ans. À ma libération j‘étais comme Lazare sortant du tombeau. C’est une expérience très violente. J’avais l’impression que les gens autour de moi étaient en état d’ébriété. »
La maison des Landes de Gascogne. « Très vite j’ai eu besoin de silence, d’isolement. Cette maison dans les Landes a joué un rôle dans ma convalescence. Et j’avais en même temps besoin de grands espaces. C’est ce qui explique sans doute cette maison des Landes. Nous avions eu, il y a bien des années, une maison en Sologne. Mais la Sologne est clôturée. Alors que la forêt des Landes est libre, ouverte. C’est une immensité jusqu’à l’Océan. »
François Mauriac. « Mais les Landes procèdent peut-être d’autres raisons. Il y a peut-être Mauriac. C’est pour moi un écrivain Landais. Il a beaucoup parlé par exemple des incendies…»
Un homme de l’Ouest. « Je suis un homme de l’ouest pour parodier John Ford. Je dirai que je suis un homme de l’Atlantique. Dans cette maison, dans l’espace autour, le fameux airial, je sens certains matins l’odeur de l’Atlantique qui arrive jusque-là. »
Forte relation aux livres. « J’ai effectivement eu une forte relation aux livres. En trois ans de captivité il faut occuper le temps dix-huit heures par jour. Le temps est l’épreuve suprême. Je peux dire que les livres m’ont sauvé la vie et j’ai longtemps essayé de réunir à nouveau tous ces livres que j’avais aimés en captivité. Quand mes geôliers m’apportaient un livre, ensuite pour moi c’était une occupation d’un mois. Je lisais ces livres jusqu’à la corde. Il m’est arrivé de lire des Arlequins à deux sous… Et j’y prenais un immense plaisir ! Et même avec des textes aussi médiocres que ça, c’est une voix qui vient du dehors. Et c’est essentiel. La lecture peut sauver la vie. Mais ce sentiment de devoir au livre, il est ancien chez moi. J’avais connu une situation éprouvante antérieurement, c’était à 11 ans lorsque je me suis retrouvé au pensionnat. C’est par la lecture que j’ai pu m’échapper. Depuis, j’ai toujours eu peur de manquer de livres. »
L’écriture de La Chambre noire de Longwood. « L’histoire de Napoléon 1er c’est celle de l’enfermement. Alors pourquoi ce livre sur l’exil de Sainte-Hélène ? J’avais écrit un livre sur les Kerguélen et j’ai été ainsi classé, catalogué, spécialiste de ces îles de la désolation du grand Sud… Et le magazine Géo m’avait demandé un reportage sur le lieu d’exil de Napoléon 1er. Constatant le peu de place que j’avais dans le magazine pour raconter, seulement quelques feuillets, j’ai eu l’idée de faire ce livre. Ce qui m’avait plu pour aller à Sainte-Hélène, c’est qu’on ne peut y aller qu’en bateau. C’est le voyage à l’ancienne jusqu’à l’ennui du voyage. Ça dure trois semaines et j’avais emporté toute la littérature hélénienne pour bien connaître mon personnage. »
Le choc de la découverte de Sainte-Hélène. « Quand je suis arrivé à Sainte-Hélène il y a eu le choc de la maison de l’exil. Et j’ai tout compris. C’est une maison saisissante et c’est l’endroit le plus impossible de l’île. Ce sont les Hauts de Hurlevent sous les tropiques ! C’est un lieu terrible pour le Méditerranéen qu’était Napoléon. Cette maison n’a pas changé. Elle est restée telle, dans son jus ; on a le sentiment que Napoléon vient de quitter les pièces. Songez que Napoléon est là, il a 51 ans quand il meurt. Une trajectoire d’une incroyable rapidité. En 1795 il se fait connaître, neuf ans après il est Empereur, dix ans encore après c’est fini. Et il arrive à Sainte-Hélène. C’est la stagnation. J’ai trouvé là l’homme nu. L’homme nu au sens de l’image, nu après tout ça. Mais l’homme nu; il y a sa salle de bain et sa baignoire où il passait de très longs moments. Une autre chose m’a beaucoup intéressé chez Napoléon, c’est son odorat, sa relation aux odeurs ; c’était un olfactif. Denis, un de ses domestiques, avait réussi à recomposer la formule de son eau de Cologne préférée. Et même aujourd’hui on en vend dans tous les lieux Napoléoniens, les fétichistes se l’arrachent. Et je crois que si j’aime Mauriac, c’est aussi parce que c’est un écrivain des odeurs, il en parle très bien. »
Le livre improbable, le vin improbable. « On cherche le vin impossible comme on cherche le livre que l’on ne trouve jamais. Et que l’on finit par trouver. Aujourd’hui à Bourges j’ai mis la main sur un livre que je cherche depuis des années et que je pensais ne jamais trouver. Ce livre c’est l’histoire de la bataille de Tsuchima en 1905. C’est la première fois qu’une puissance occidentale blanche est battue par l’armée d’une puissance de couleur. En un quart d’heure la flotte Russe est défaite par l’armée du Japon. J’ai cherché ce livre des années, je l’ai trouvé à trois sous chez un bouquiniste de Bourges par hasard. C’est pareil pour le vin. On cherche le vin impossible. Moi je l’ai rencontré il y a longtemps, c’était un vouvray, un Haut-Lieu 1947. Ce fut une impression extraordinaire, une impression dont je suis sûr que je ne la retrouverai jamais plus. J’étais en reportage, c’était en fin de matinée et j’ai eu une délectation exceptionnelle… »
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