Les feux pour chasser le vieil l'hiver.- (réactualisé en janvier 2025) Le premier dimanche du carême 2025, dimanche 9 mars, ou dimanche de Quadragésime, est aussi le dimanche des brandons ou des bordes ou dimanche brandounnier. Une fête du feu, jadis vivace dans de nombreux terroirs et que l’on a encore célébrée à Issoudun (Indre) grâce à l’association La Rabouilleuse. Mais aussi sur la commune de Château-sur-Allier (Allier) qui fait périr Carnaval dans les flammes à la tombée du jour sur les hauteurs de la ferme d'Embraud qui domine la rivière Allier. C'est près de Sancoins (Cher) dans le Berry, et c'est organisé par une association de maintenance d'arts et de traditions paysannes La Chavannée avec bal nocturne et dégustation de gourmandises de saison comme les bignons, les roûties au lard et le vin de riousse ou de Saint-Pourçain. La Chavanée a encore allumé le feu des brandons le 1er mars 2020, comme elle le fait chaque année depuis 1976. Cette fête a aussi été relancée en 2011 à Sagonne (Cher) même si on n’a guère été fidèle quant à la date. On dit ici qu’on fête « la disparition du Vieil hiver ».
Jadis en Berry, ce dimanche-là (le premier du Carême), on allumait les brandons ou chalibaudes.
La fête est relancée ici et là. En 2024 la population s'est assemblée à la nuit autour du grand feu des brandons à Autry-Issards (Allier).
Une "Saint-Jean" d'hiver
Le dimanche des brandons suit de peu Carnaval (Mardi gras est fixé au 4 mars 2025), il marque à la fois la fin des festivités de la très longue période du cycle de Noël et le début de la période d’austérité imposée traditionnellement dans la religion chrétienne par le Carême. Cette année la période du Carême va du 5 mars au 17 avril 2025.
La tradition des bordes a été plus ou moins vivace selon les terroirs. Elle était marquée par des processions au cours desquelles les participants portaient des torches en processions rituelles. Des feux appelés « chalibaudes » étaient allumés dans les villages, à l’instar des feux de la Saint-Jean d'été donnant lieu à des rassemblements, des rondes chantées, des sarabandes et des danses dans la nuit.
Photo: bugnes telles qu'on les fabriquait encore en 2012 et telles qu'on les vendait à Clermont-Ferrand en Auvergne pour Mardi Gras et pour les brandons.
Ancienne fête antique
Cette fête christianisée serait forcément un héritage de fêtes plus anciennes, peut-être gauloises, la fête de Beltaine. On connait aussi la fête des Lupercales de Rome, sous l'Empire polythéiste. A cette période les participants à la fête couraient, portant des torches enflammées dans la ville et dans les jardins. Ils "brandounnaient". Chez les peuples gaulois il s’agissait d’honorer le feu purificateur qu’allumaient les druides au cœur de l’hiver. C’est un feu de protection contre les prédateurs, les maladies et le mauvais sort. C’est devenu, notamment dans le Berry, la Marche Limousine, le Bourbonnais et certains cantons d'Auvergne, une fête agraire qui voulait conjurer les mauvais effets de l’hiver et anticiper le printemps. Et sans doute par bien des égards c'était une fête d'espérance.
Le Docteur F. Pommerol, dans Bulletins et Mémoires de la Société Anthropologique de Paris (1901, p. 427) a étudié les brandons d'Auvergne. Il évoque le rituel, notamment celui de la torche enflammée qui est passé sous chaque arbre, sous les rameaux. Il y a bien là comme un geste prophylactique à moins qu'il ne s'agisse d'un geste de conjuration du mauvais sort. F. Pommerol y voit "un reste d'un ancien culte solaire".
Rite de purification des champs
Les porteurs de torches devaient ainsi défiler dans les vignes, les champs, les vergers pour, avec le feu, conjurer les intempéries et les parasites. Dans les terroirs à fortes pratiques superstitieuses on fabriquait des croix de paille plantées aux carrefours, auxquelles on mettait le feu. De même il était d’usage d’entourer certains troncs d’arbres de boudins de paille et d’y mettre le feu. On peut supposer que le feu avait ici une fonction prophylactique. Dans la Vallée noire en bas-Berry, on entourait d’anneaux de paille de froment les arbres fruitiers. Anneaux censés faire fuir les larves d’insectes et de parasites. L'ethnologue Daniel Bernard, spécialisé sur les usages du bas-Berry, parle d'un "rite de purification " (2). En Auvergne ces usages ont été recensés au début du XXè siècle par le Docteur F.Pommerol qui a ainsi consigner les pratiques. (Lire par ailleurs).

A Issoudun poupées de paille avant de brûler la Vieille
La Rabouilleuse d'Issoudun indique que la fête traditionnelle a disparu dans la décennie 1950. Et l'association apporte les précisions suivantes sur le déroulé du rituel tel qu'il était pratiqué dans cette petite ville du département de l'Indre: "Les feux de brandons issoldunois étaient de grands bûchers élevés autour d'un mât central constitué par un entassement de matière très combustible (paille, sarments de vigne, petits bois, mauvaises herbes, etc.) au-dessus duquel les jeunes gens secouaient, "brandounaient", des perches enrobées à leur extrémité d'une poupée de paille simple ou en forme de croix. Le mât central portant souvent à son extrémité un mannequin nommé "la vieille", "bonhomme Carnaval" ou "Guillaume" qui devait bien sûr brûler avec l'ensemble. Le cumul de ces rites autour d'un simple feu de joie, tous les ans, chaque premier dimanche de Carême, jusqu'à l'époque de l'extinction de cette tradition, dans les années 1950, semble être l'aboutissement de l'évolution d'une très vieille coutume païenne remontant à la nuit des temps. Brandons mobiles devenus brandons fixes et disparition de la vieille année." Concernant le feu communautaire pratiqué à Issoudun, qui renvoie à une sorte de Saint-Jean d'Hiver, le bûcher était organisé autour d'un mât central portant à son extrémité un mannequin appelé "la vieille" par allusion à la vieille année qui tentait encore de résister et qu'on finissait par brûler. On appelait aussi ce personnage campé sur le mât Guillaume.
Le temps des friandises et licheries
C’est une fête qui ne fut pas exclusivement rurale. On la retrouve dans certains quartiers de Châteauroux en 1920 où, à la nuit tombée, la population allumait des feux pour y pratiquer des rassemblements festifs similaires à ceux de la saint Jean d’été. La sarabande des brandons se terminait en Berry par un repas familial où les participants consommaient certaines pâtisseries typiques.
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Ce sont ici les beignets aux pommes, les crêpes de blé noir dans la Marche, les galettous dans le nord Limousin, les sanciaux ou chanciaux en Sancerrois (crêpe épaisse aux pommes), les bugnes, les guenilles et les bignottes en Auvergne, les merveilles en Périgord. C’était l’ultime avatar de Carnaval qui autorisait encore quelques friandises de bouches, des licheries disent les berrichons, avant la longue période du jeûne du Carême.
Une pratique commune jadis
On retrouve les brandons fixes (grand feu de joie) et les brandons mobiles (procession avec les torches) dans de très nombreuses régions de France. Au XIXè siècle c’était une pratique très commune. Dans la région de Saint-Omer on courait les champs avec une torche de paille enflammée au bout d’une perche, les accompagnateurs dansaient, chantaient, invoquaient une bonne récolte. L’ethnologue Arnold Van Gennep avait relevé des usages de brandons mobiles vers Bengy-sur-Craon et Léré dans le Cher en Berry. Il signale le grand feu de paille allumé par les jeunes des villages en Luchonnais, dans les Pyrénées, et aussi dans le Dauphiné où, la foule rassemblée, dansait le Rigaudon. Dans la Nièvre, dans plusieurs villages, sont attestés les allumages des feux par les mariés de l’année. On retrouvait ces feux dans la vallée de la Bruche en Alsace. Claude Seignolle a recensé cette pratique vivace dans les villages de la Sologne.
La ritualisation de la fête des brandons se concluaient par une fête communautaire avec danses, sarabandes, accompagnées de chants ou de formules incantatoires pour chasser maladies, tempêtes et nielles (mauvaises herbes). Le folkloriste et collecteur berrichon Laisnel de la Salle a ainsi transcrit une de ces ritournelles : «Sortez, sortez mulots/Ou je vais vous brûler les crocs/Quittez, quittez ces blés/Allez, vous trouverez/Dans la cave du curé/Autant à boire qu’à manger ». Le bûcher, les formules, confèrent aux brandons un caractère magique qui renvoie aux superstitions liées au feu, propres à toutes les vieilles civilisations. Les brandons, par goût du festif et du bonheur d’être ensemble, retrouvent quelques vivacités depuis quelques années. Ainsi le 18 février 2012 le feu des brandons a été rallumé sur la place publique à Clamecy (Nièvre). " La tradition veut que ce soit le ou les couples de mariés de l'année qui allument le feu. Or, en 2011 il n'y a pas eu de mariage dans la commune. Faute de mariés, c'est la doyenne, R.N., âgée de 85 ans qui s'est chargée de cette mission", a raconté dans sa chronique locale Le Journal du Centre, quotidien régional de la Nièvre.
En Auvergne la description qu'en fait le Docteur Pommerol (1839-1901, collecteur, folkloriste auvergnat) renvoie à une variante hivernale de la Saint-Jean d’été. « En Auvergne, dans chaque village et même dans chaque quartier, sur les hauteurs ou dans la plaine, dans les petits hameaux comme dans les fermes isolées, on allume le soir, à nuit close, un feu de joie ou figo. On danse, on chante autour ; on saute par-dessus, en traversant les flammes. On procède en même temps à la cérémonie de Grannas-mias. La Granno-mio est une torche de paille qu’on emmanche sur une latte de bois plus ou moins longue. Quand le figo est à demi consumé, les assistants allument à la flamme mourante les grannas-mias. On les porte à la main et on se rend dans les vergers voisins, dans les champs, dans les jardins où sont plantés les arbres fruitiers (…) En certains villages, on court à travers champs et on secoue sur les terres ensemencées la cendre des torches allumées. »
Les fougards du Puy-de-Dôme
Anne-Christine Beauvalia (4) évoque même un usage d'affirmation de séduction à la vue de la communauté qui se pratiquait dans l'Auvergne de la Haute-Loire: "Dans quelques localités de la montagne, à Cistrières (Haute-Loire) en particulier, au moment de quitter la fête, chaque garçon, couvrait d'un mouchoir la figure de sa jeune amie. Symbole d'origine chrétienne impliquant un renoncement à toute joie profane et charnelle pendant la période du Carême." On retrouve avec une très forte ritualisation, cette fête des fougards ou fougats ou figots sur la commune de Vollore-Montagne dans le département du Puy-de-Dôme où elle s'est donnée un sens d'accueil des nouveaux venus dans le village autour du brandon immobile (lire par ailleurs ci-dessous).
Les feux rapprochaient les couples
Il y a un autre sens à cette fête. Elle est évoquée par l'anthropologue Nadine Crétin (3) qui parle d'un " rite purificateur, mais aussi d'une sarabande qui rapproche les jeunes gens." Et c'est bien cette fonction sociale du charivari des brandons et en particulier des brandons mobiles (torches portées) par opposition au brandon immobile qui est un feu rituel sur la place du village ou au carrefour des chemins. Les brandons mobiles sont toujours portés par les jeunes d'une génération, garçons et filles, qui courent joyeusement dans la nuit, dans les champs. II y a incontestablement un acte de jeu et de rapprochement à l'instar du bal de la vote (fête votive) dans le Périgord ou de la roulée des oeufs pratiquée par les bergers et bergères en Berry ou des jeux de Carnaval. Un exemple est rapporté d'un usage à Long-Pré-les-Saints (Somme) où la société de jeunesse dansait et quittait la ronde pour partager le vin apporté par les garçons et les gâteaux apportés par les filles. Avec un geste de rapprochement très symbolique: chacun buvait dans le même et unique verre. Nadine Crétin y voit par ailleurs une manière de forcer le destin pour les jeunes couples: " Parfois allumés par les derniers mariés, ces feux impliquaient souvent la présence de jeunes couples de l'année qui n'avaient pas encore d'enfant. Apparaît ici clairement la fonction magique et fécondante du feu cérémoniel et de sa fumée, qui caractérise aussi les feux de la Saint-Jean."
La fête de la fertilité
Cet usage est très ancien puisqu'on le retrouve loin au Moyen-Age. L'historien italien Carlo Ginzburg (*) qui reste le grand spécialiste de la micro-histoire des rites, a analysé ce qu'il désigne sous l'appellation générique de charivari ou fête débridée des groupes de jeunesse dont il a repéré la première mention écrite en 1316 (1). Il trouve dans le Piémont italien (son aire d'étude privilégiée) des groupes constitués appelés "abbayes" qui étaient organisés selon le modèle militaire. "Dans le Piémont les abbayes des jeunes célébraient de fausses batailles avec épées et bâtons à certaines périodes de l'année. Ailleurs les bagarres accidentelles entre groupements de jeunes prenaient des formes curieusement rituelles. Les abbayes étaient souvent associées à des fêtes qui visaient à assurer la fertilité des champs et des mariages comme celles les Brandons qui avaient lieu le premier dimanche de carême - c'est à dire durant les Quatre Temps du printemps.- Le jour de la Toussaint, en outre, elles avaient la tâche de sonner les cloches pour les aïeux morts."
Il renvoie également à une tradition plus large du charivari traduisant une bataille collective pour la fertilité, contre la nuit, contre l'hiver, passant par une transgression à l'ordre établi. Plusieurs textes anciens qu'à analysé Ginsburg montrent que les groupes juvéniles "quatre fois l'an, durant les Quatre Temps, se rendaient la nuit, combattre en esprit, armées de branches de fenouil, les sorcières et les sorciers armés à leur tour de cannes de sorgho. L'enjeu du combat était la fertilité des champs."
La fête des Fougards en Auvergne
Cette variante moderne des brandons est vécue chaque année sur la commune de Vollore-Montagne (Puy-de-Dôme) en Auvergne. En 2014 les fougards ont eu lieu le 8 mars à la tombée de la nuit. La fête s'organise autour d'un grand feu public, un brandon immobile, qui n'est qu'une variante des feux rituels communautaires à l'instar du feu de la Saint-Jean d'été. Ce sont les hommes du villages qui confectionnent le bûcher, plusieurs d'entre eux sont dépêchés pour aller couper un jeune arbre très droit, on en tirera un mât qui aura pour nom "la bannière". Le fougard de Vollore, en plein Livradois-Forez, est organisé en l'honneur des nouveaux habitants de la commune et des mariés de l'année. Une fois le mât trouvé en forêt, coupé et ramené au village, les branches sont élaguées, sont tronc écorcé, on ne conserve qu'une houpe végétale au sommet. On va alors décorer cette houpe d'une couronne de fleurs en papier, de rubans de papiers colorés. La bannière sera dressée et le bûcher de fagots et branches sera alors élevé autour de sa base. Le feu de joie est allumé à la nuit en présence de tous les habitants qui partagent les gourmandises et chantent ensemble. Gourmandises confectionnées le jour-même par d'autres habitants qui ont pris le temps de pétrir la pâte, faire chauffer les marmites d'huile bouillante pour dorer les bignottes, des beignets découpés en bandelettes et noués avant d'être jetés dans la friture. On obtient un beignet très croustillant, on en redemande, il est vrai que pour le rendez-vous 2012 on en avait confectionné pas moins de dix mille ! Cette fête est conçue dans ce village comme un moment de partage et de présentation des nouveaux habitants. Ritualisation collective qui renvoie au vieil usage des brandons qui n'était rien d'autre qu'un temps de retrouvailles collectives.
Les fougots de l'Ardèche.- On retrouve l'usage toujours actif des fougards que l'on appelle les fougots dans le nord du département de l'Ardèche. C'est ainsi qu'au village de Saint-Romain d'Ay on a allumé le bûcher du fougot le vendredi 28 février 2014, à la nuit tombée. Pour cette rencontre de sociabilité rituelle la population a partagé, à la lueur des flammes du fougot, la soupe aux choux, les bugnes et les verres de vin chaud.
(*) Ces derniers ouvrages ont été publiés en France aux éditions Verdier: Mythes emblèmes traces (2010), Le fil et les traces (2010)
(1) L'historienne Martine Grinberg qui a été une élève de Jacques Le Goff, chercheuse au CNRS sur les coutumes d'Ancien Régime situe les premières mentions des charivaris au début du XIVè siècle. Elle cite comme texte source majeur et premier le Roman de Fauvel (comme chez Ginzburg), texte satirique du début du XIVè siècle qui dresse un état de la société féodale sous le règne de Philippe Le Bel.
(2) Daniel Bernard dans Paysans du Berry, Editions Horvath.
(3) Nadine Crétin dans Fête des fous, Saint-Jean et belles de mai, Editions du Seuil.
(4) A.-C. Beauviala et N. Vielfaure dans Fêtes, coutumes et gâteaux, Editions Christine Bonneton.