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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Petite histoire de la culture du tabac

Publié par Bernard Stéphan sur 17 Septembre 2012, 18:03pm

 

Une culture de subsistance.- (actualisé en novembre 2016) La culture du tabac en Dordogne a marqué le XXè siècle, elle a été un moyen, sinon le moyen, de sortir de l'autarcie paysanne des fermes. C'est en effet grâce à cette culture qu'une fois l'an les petits paysans recevaient une rentrée d'argent significative, consécutive à la vente de la récolte de l'année à la Régie nationale des tabacs. On a pu dire que cette culture sauf cas de grêle, était une forme de "sécurité sociale des paysans", une assurance garantie promettant une rentrée d'argent annuelle. « Assurance » pour payer les impôts fonciers, les travaux de gros œuvres sur les bâtiments et selon une formule souvent entendu dans le Périgord « mettre de côté pour les coups durs ».

On ne sait trop quand cette histoire d'une culture commence. Les historiens évoquent d'abord un lancement à Clairac (Lot-et-Garonne)  qui serait le berceau de la culture du tabac en France où des moines plantent le premier champ conséquent de tabac brun en 1636 ou 1637. C'est un moine cordelier charentais, aventurier, explorateur, André Thevet, qui avait rapporté en 1556 des graines du Brésil d'où il rentrait en qualité d'aumônier de l'expédition de Nicolas Durand de Villegagnon qui fonda sur la côte brésilienne une colonie éphémère (*). Ce tabac, le pétun, était jusque là inconnu sur le vieux continent. Thévet va semer les premières graines dans sa terre natale près d'Angoulême. C’est donc en Guyenne autour de Clairac que se constitue la première organisation de la culture du tabac. On dénombrera trente deux paroisses autorisées à cette culture sur un territoire qui sera baptisé la « Juridiction du cru du royaume » située à cheval sur les actuels départements du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne. Ce secteur constituait « la ferme générale du tabac » contrôlée par le royaume. Lorsque les manufactures royales du tabac sont créées en 1721, elles sont directement placées sous l’autorité de la ferme générale.

C'est en 1791 que l'Assemblée libéralise la culture du tabac sur tout le territoire. Liberté rapidement reprise avec l'instauration du monopole dès 1810.  A partir de 1816 la culture du tabac très encadrée est circonscrite à six départements seulement: le Nord, le Pas-de-Calais, le Bas-Rhin, le Lot, le Lot-et-Garonne et l’Ille-et-Vilaine. Le 26 décembre 1857 cette culture est autorisée pour le département de la Dordogne.

Il existe une autorisation de planter qui va durer tant que le monopole sera en place, jusqu'à la fin du XXè siècle. Un exemple d'un permis de planter ou permis de culture délivré le 20 février 1963 en Dordogne précise l'identité du planteur, son domicile, les surfaces concernées et le nombre de pieds de tabac. Le document qui a pour titre "Permis de culture" porte la mention suivante: "Le présent permis tient lieu de laissez-passer pour le transport des tabacs dont il autorise la production, transport qui devra être effectué aux dates fixées par arrêté préfectoral (...)"

Un état statistique du Journal de la société statistique de Paris (tome 7, 1866) dresse la liste des départements autorisés à être producteurs de tabac en 1863, en s'appuyant sur la planification de la Régie. Il s'agit alors des quinze départements métropolitains suivant auxquels il faut ajouter l'Algérie avec 2002 planteurs: Alpes-Maritime (382 planteurs), Bouches-du-Rhône (851 planteurs), Dordogne (2066 planteurs), Gironde (2162 planteurs), Ille-et-Vilaine (1342 planteurs), Lot (5665 planteurs), Lot-et-Garonne (5482 planteurs), Meurthe (1430 planteurs), Moselle (2083 planteurs), Nord (1502 planteurs), Pas-de-Calais (2747 planteurs), Bas-Rhin (8057 planteurs), Haute-Rhin (1524 planteurs), Haute-Saône (1792 planteurs), Haute-Savoie (579 planteurs).

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La maison Peyrarède à Bergerac, siège du musée national du tabac. (Ph.B.S.)

Le Journal statistique de Paris de 1866 donne précisément un commentaire sur la qualité du tabac produit alors sur le territoire de la métropole: "On peut partager le tabac français en quatre classes, selon les qualités. Les feuilles du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle, de la Meutrthe et du Lot-et-Garonne occupent le premier rang. Leur couleur est agréable et permet d'en faire des couvertures de robes de cigares. Toutefois, par suite de leurs nervures très caractérisées, ils ne sauraient être employés à la fabrication de cigares lisses; aussi servent-ils généralement à la préparation de tabac à fumer. - Les feuilles de la Dordogne et de la Gironde sont peu développées, mais à nervures trop grosses et d'un aspect trop marbré pour qu'on puisse en faire des robes de cigares; toutefois comme elles ont du corps, on les utilise pour les intérieurs.- Les feuilles des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône et de la Haute-Saône ont un aspect très agréable et peu de développement; elles ont aussi du corps et servent aux intérieurs.- Quand à celles du Nord, d'Ile-et-Vilaine, du Pas-de-Calais et du Lot, leur tissu est trop épais et trop gras pour fournir un bon tabac à fumer; mais elles sont excellentes pour la fabrication du tabac en poudre, quand on les parfume avec une addition de tabac étranger, tel que le Virginie, par exemple."

Mais c'est au XIXè siècle qu'une première grande vague de plantation est observée. Avec le premier succès de la cigarette deux autres vagues vont venir au XXè siècle: pendant l'entre-deux-guerres et pendant la reconstruction au lendemain de la Libération. Les deux grandes guerres du XXè siècle sont des accélérateurs de la croissance de la consommation du tabac par le vecteur des soldats.

On peut considérer qu’il y a trois périodes de grande expansion de la culture du tabac en France et en particulier dans le Périgord et alentours.

 

 

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Séchoir type, en bois sur son muret de pierre, dans la campagne du canton du Buisson-de-Cadouin en Dordogne (Ph.B.S.)

 

1ère période.- Entre 1850 et 1914. Il y a non seulement la montée en puissance de la consommation avec le è des ciguarettes à la fin du XIXè siècle qui est un appel à production avec l'extension du nombre de départements autorisés à produire, mais il y a la nécessité de répondre à la paupérisation des campagnes. 1870-1875 marque le début de la grande crise des zones viticoles avec le phylloxéra qui plonge de grands territoires dans la misère en détruisant en quelques années les grands vignobles de vin de soif. C'est notamment vrai en Périgord, en Agenais, en Berry, dans le Val de Loire, en Anjou, dans le Midi, etc. En Périgord cette crise sera doublée à partir de 1880 par l'arrivée du mildiou sur les vignes nouvelles. La vague de plantation de champs de tabac dans la toute fin du XIXè et début du XXè correspond ainsi à une alternative au vignoble détruit, c'est alors une culture de secours. On fait alors sécher le tabac dans les bâtiments existant que l'on adapte. C'est ainsi la mise sous combles dans les maisons de ferme, c'est la transformation de granges bouvières ou de chaies en séchoirs de fortune, c'est l'extension d'étables avec la construction des premiers séchoirs à tabac en pierre. En 1871 on dénombrait déjà 30.200 planteurs répartis sur vingt départements autorisés à planter.

2è période.- 1914-1939. Le tabac correspond alors à un double comportement social. D'une part une forte solidarité familiale, toutes les générations vivant sous le même toit étaient mobilisées pour ce travail, c'est en outre un travail qui mobilise les enfants notamment pour le sarclage, la mise aux pentes et même le tri. Et qui est un travail dynamisé par les femmes à la ferme pendant la Grande Guerre et chez les veuves de guerre au lendemain de l’Armistice de 1918. ( A noter que la Grande Guerre est concomitante de l’augmentation de la consommation du tabac avec la demande de la troupe sur le front). Cette solidarité familiale correspondait à la nécessaire multiplication des bras. La culture du tabac nécessitait une main d'oeuvre importante sur une longue durée. Les semis sur plate bande étaient réalisés au printemps, la mise à sécher aux pentes occupait la fin de l’été, le tri était une activité hivernale, la mise en balles des manoques pour la livraison à la régie avait lieu au milieu de l'hiver au mois de janvier ou de février. Une récolte de tabac était un travail constant de neuf mois environ avec de nombreuses mains. C'est ainsi qu'étaient mobilisées toutes les générations depuis les enfants jusqu'aux plus âgées pour des tâches d'intérieurs avec le tri des feuilles et l'assemblage en manoques. Cette culture ravive en outre les solidarités communautaires. C'est ainsi que l'on s'entraide pour la récolte et pour la mise aux pentes pour le séchage. On s'entraide aussi pour assurer le fonctionnement du système de vigiles anti-grêle. Dans les villages, notamment dans le sud du Périgord et dans le Haut-Agenais des systèmes anti-grêles vont apparaître au milieu du XXè siècle. Il s'agit des postes anti-grêle qui sont gérés et animés par les planteurs eux-mêmes dans une solidarité de chaque village. Le principe est simple. Des fusées porteuses à propulsion à poudre sont envoyées au plus près du cœur des nuages d’orage. Leur explosion diffuse dans le nuage une suspension de poussières susceptibles de condenser l’eau en suspension pour déclencher le phénomène de la pluie avant que les noyaux de grêles n’aient le temps de se former. Ce système était collectif, chaque poste anti-grêle couvrant un territoire de plusieurs villages, à charge pour les planteurs de tabac de gérer collectivement le poste de vigile. 

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Pelotes de ficelles sous toiture, souvenir d'une activité de mise aux pentes du tabac en pieds (Ph.B.S.)
 

3è période.- 1945-1965. C'est la période de la grande extension du tabac. C'est souvent la seconde activité des exploitations familiales qui commencent progressivement à réduire le nombre de leurs productions. On sort de l'autarcie à grand pas dans les deux décennies qui suivent la Libération. La société rurale passe par les effets du plan Marshall avec la première grande vague de mécanisation et la première étape de sortie d’une paysannerie vivrière pour une agriculture de production.  C'est ainsi qu'on a souvent deux assolements ; tabac et vaches laitières, ou tabac et vigne, ou tabac et céréales ou tabac et vaches à viande. Le tabac restant dans les Trente Glorieuses toujours une soupape de rentrée d'argent frais au coeur de l’hiver et une assurance, sauf en cas de grêle. C'est d'ailleurs au cours de cette troisième période que vont être construits un peu partout dans les zones de plantations les séchoirs à tabacs si typiques en bois sombre, peint au coaltar, un goudron de coloration et de protection.

Culture particulière, le tabac est un monopole d'État instauré par Napoléon 1er et régulièrement confirmé jusqu'en 1970 où il a été définitivement supprimé en 1995. C'est un autre Empereur, Napoléon III, qui crée en 1870 la Régie des tabac qui deviendra la SEITA au XXè siècle. Qui dit monopole d'État dit contrôle, fonctionnaire de la régie, encadrement pour la culture, mais aussi pour la vente avec les bureaux de tabacs et leur enseigne en forme de losange rouge, la " carotte" instaurée en 1906 comme l'emblème obligatoire des débits de tabac. Son revers, la culture clandestine et la contrebande.  Cette organisation supposait un système de contrôle. J'ai ainsi connu un grand-oncle, Paul B.,  qui résidait à Lavalade (Dordogne) et qui fut dans sa jeunesse « vérificateur de culture »   ou « numéraire du tabac ». C’était en 1985, au cours d’un entretien à Lavalade qu’on retrouve dans un livre de témoignages (2) : « Ici à Lavalade en 1930 toutes les fermes, même les plus petites, produisaient du tabac. Il y avait dix-huit planteurs. Il n’y en a plus qu’un. C’est que c’était à peu près sûr. Si on n’avait pas un gros orage qui grêle, on était sûr d’un revenu. C’était quasiment la seule rentrée d’argent dans beaucoup de maisons en ce temps-là. »  Paul B. contrôlait une équipe avec un collègue de son âge qui habitait dans la commune voisine à Saint-Cassien. Ils circulaient à vélo sur de mauvaises routes blanches et sur des chemins. Les numéraires faisaient ainsi de vastes tournées qui les conduisaient à Villefranche-du-Périgord à 25 km de là, ils devaient avoir l’œil sur une vingtaine de communes. Paul B. apprit donc à compter les pieds à l’unité près dans les champs et à compter les feuilles par pied pour déterminer les quantités des récoltes probables, mais aussi repérer les plantations sauvages rigoureusement interdites par la Régie des tabacs. Le duo des gabelous du tabac avait pour mission de faire la chasse aux plants sauvages qui venaient augmenter la production sans contrôle où étaient, pendant l’entre-deux-guerres revendus, séchés comme tabac brut à pipes dans les petites épiceries du Périgord méridional. Tant que la famille n’aura pas éclaté, Paul continuera à être numéraire. Il abandonnera le vélo pour sa première voiture. Un symbole puisqu’il achètera un véhicule Renault de retour d’une célèbre mission, l’engin avait été un des taxis de la Marne.

 

(*) L'écrivain et Académicien Jean-Christophe Rufin a pris prétexte de cet épisode historique pour écrire son roman historique "Rouge Brésil".

 

(2) Gens et métiers du Périgord, éditions Royer, 2001.

 

 

 

 

Le séchoir à tous les vents

 

Le séchoir à tabac si typique des paysages du sud-ouest est dans une partie de la France l’élément type d’une architecture liée à une production.  Au XIXè siècle, avec le début de la production, on va adapter l’architecture aux besoins et non l’inverse en tentant d’intégrer les contraintes de la production du tabac. C’est ainsi qu’en Marmandais (Lot-et-Garonne), berceau de la tabaculture, on va mettre à profit un auvent qui s’avance le long de la façade de la maison paysanne. Ce séchage là est donc un séchage en semi plein air.  Les rares séchoirs en pierres, témoins de cette activité des pionniers, sont pour la plupart d’anciens édifices agricoles à usage réadapté. Exemple avec les fermes de Bousserand, sur le plateau du Périgord au sud de Lalinde, sur la commune de Pontours. Il existe un séchoir en pierre. Le bâtiment tel qu’on le voit aujourd’hui n’existe pas dans sa forme actuelle sur le cadastre Napoléonien relevé en 1827 et validé sous la mission du préfet de la Dordogne Auguste Romieu, en fonction entre le 14 juillet 1833 et le 9 juillet 1843. Le plan indique un bâtiment au tiers de la longueur du séchoir qui subsiste aujourd’hui. Ce n’est donc qu’après 1857 (date de l’octroi du droit de planter le tabac en Dordogne) que le bâtiment (probablement une bergerie ou une écurie) est allongé et est percé de lucarnes d’aération (les fenestrous) typiques de l’architecture des séchoirs. C’est le cas type des granges séchoirs, première génération des planteurs, que l’on trouve ici et là en Périgord noir.

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Le séchoir en pierre de Bousserand avant et après restauration (Ph.B.S.)

 

Le séchage du tabac passe par le procédé dit de la dessiccation (séchage des feuilles par une exposition à l’air libre). Les séchoirs sont percés de nombreuses ouvertures verticales et étroites (les fenestrous) avec volets à claies réglables qui permettent l’accélération de la circulation de l’air.

 

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Les fenestrous d'un séchoir en pierre, architecture de réaménagement d'une ancienne bergerie transformée en séchoir à la fin du XIXè siècle. (Ph.B.S.)

 

Dans l’immédiate après-guerre la croissance de la production va conduire à construire un archétype de séchoir en bois dont la surface des planches de bardage sont peintes d’une couche de goudron, le coaltar. Ce séchoir sera mis au point au terme d’un concours d’architectes initié en 1952 par la Fédération nationale des planteurs de tabac. Le projet leader retenu fut imaginé par l’entreprise Chaverou de Bergerac. C’est celui qui va faire naître un peu partout  dans les zones de plantations les bâtiments en bois. Selon le CAUE de la Dordogne l’entreprise Chaverou construira environ 1500 séchoirs dans une cinquantaine de départements tabacoles.

 

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L
je suis passer en vacances dans la region manifique
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