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Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Haies et arbres paysans

Publié par Bernard Stéphan sur 22 Février 2024, 08:57am

Catégories : #recherches sur le paysage

 

Têtaux, tétauds, trognes, ragosses.- (réactualisé en février 2024) On les appelle les arbres têtards ou têtaux ou trognards ou trognes ou arbres d’émonde ou arbres recépés. C’est une forme typique de l’évolution des arbres associés aux haies dans le Berry, mais aussi dans le Bourbonnais, dans le Morvan, dans le Limousin, dans les collines du Perche, dans la Bretagne intérieure (c’est la ragosse), dans le Val de Loire, dans la Flandre (la touse), etc.

Emonder tous les cinq ans

Les arbres têtards ne se limitent pas à ces régions, on les retrouvaient quasiment dans toute la France et dans une grande partie de l’Europe. Dans le Pays Basque français ce sont les chênes qui étaient ainsi émondés, on trouve des oliviers dans le Midi. Mais plus généralement ce sont les saules, les frênes, les charmes, l’ormeau, l’osier, l'aulne, qui sont les essences les plus communes pour cette pratique qui consiste à émonder tous les cinq ans environ (mais plus généralement tous les neuf ans) les branches de repousse pour laisser à nu le fût qui cicatrise et dont le recépage produit un moyeux rond, une sorte de tête ronde d’où son appellation de têteau ou trogne. Sur cette tête de nouvelles pousses vont apparaître dès le prochain printemps.

Se fournir en bois de chauffe

Il s’agit d’une sorte de taillis aérien. Cette coupe avait au moins quatre fonctions : 1.- Se fournir en bois de chauffe et notamment en bois pour le four à pain. 2.- Se fournir en feuillage comme la feuille d’ormeau qui était récoltée en guise de fourrage complémentaire pour nourrir les animaux et particulièrement les volailles. 3.- Se procurer des tiges souples, type osier, pour lier ou tresser de la vannerie. 4.- Se procurer du bois d'oeuvre dur pour fabriquer des manches d’outils.  

DSCN1031

 La coupe était légèrement différente selon qu’il s’agissait d’une coupe sommitale ou d’une coupe d’émonde latérale. Au fur et à mesure des coupes, l’arbre en vieillissant devenait creux, ménageant en son coeur des espaces privilégiés pour les nids des oiseaux ou des petits mammifères. Ce micro-milieu naturel est généralement considéré comme un espace d’une riche biodiversité.  Il produisait par ailleurs, dans ce cœur un terreau particulier très recherché pour les semis.

Le bois d'émonde réservé au métayer

On pourrait qualifier les trognes d’arbres paysans de reliques d’une société agropastorale qui avait trouvé là le moyen d’une économie du bois dans un monde où une partie de la société paysanne n’y avait pas accès. La trogne est une astuce de contournement des codes et usages pour avoir accès à la récolte de bois dans une société rurale où la subordination sociale, avec le statut du métayage, était totale. Et en particulier le bois d'émonde qui était exclusivement réservé au métayer. C’est aussi le témoin d’une relation fidèle et de longue durée entre le paysan et l’arbre, l’un et l’autre ont un rendez-vous immuable au moins tous les cinq ans, mais plus généralement tous les neuf ans.

La description de George Sand

Dans le Berry, George Sand en a fait une description précise, ciselée, ethnologique. C’est ainsi qu’elle décrit le paysage de la Vallée noire de 1837 : « Grâce à des habitudes immémoriales, la vallée Noire tire son caractère particulier de la mutilation de ses arbres. Exceptés le noyer et quelques ormes séculaires autour des domaines ou des églises de hameau, tout est ébranché impitoyablement pour la nourriture des moutons pendant l’hiver. Le détail est donc sacrifié dans le paysage, mais l’ensemble y gagne, et la verdure touffue des têteaux renouvelée ainsi chaque année prend une intensité extraordinaire. Les amateurs de style en peinture se plaindrait de cette monstrueuse coutume ; et pourtant, lorsque, d’un sommet quelconque de notre vallée, ils en saisissent l’aspect général, ils en oublient que chaque arbre est un nain trapu ou un baliveau rugueux, pour s’étonner de cette fraîcheur répandue à profusion. »

 

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Bois  d'émonde et bois de  tête

L’histoire paysanne montre que la trogne est souvent un substitut pour les interdits d’accès à la forêt pour les métayers ou petits locaturiers des grands domaines. C’est que la trogne est un arbre de la haie, cette  clôture naturelle qu’on nomme la barade en Périgord, la bouchure en Berry. La haie est faite de multiples essences y compris des arbres fruitiers comme le cerisier, le noyer, le merisier, le pommier de plein vent, sans oublier les mûres et les cormiers. Les baux de métayage prévoyaient précisément dans la charge du preneur une fonction de plantation et d’entretien de la haie, en échange de quoi il en tirait le revenu des feuilles, des fruits, du petit bois, du bois d'émonde. Le bois de tête étant lui soumis à l'usage commun qui régissait le partage entre preneur et bailleur.

Tétauds ou têteaux...

Le comte Jaubert, grand collecteur d'usage ruraux dans le centre de la France au XIXè siècle, avait adopté la graphie suivante dans son glossaire: tétaud.

Un lecteur du Sancerrois dans le Berry m'indique que les têteaux "ne sont pas seulement associés aux haies, ils constituent dans les forêts, dans les bois, une forme de limite, de bornage certes moins précis que les bornes, mais aidant souvent à retrouver certaines des bornes."

 

* L'écrivain Gilles Lapouge dans son livre Le bois des amoureux publié chez Albin Michel en 2006, a ainsi évoqué ces arbres paysans: " Quelle horreur ces arbres mutilés ! C'est bien ainsi que la majorité de nos concitoyens considèrent aujourd'hui les trognes, émondes, arbres têtards et autres têteaux qu'ils voient dans nos paysages ruraux ou urbains. Réaction bien naturelle dans une société où l'arbre est d'abord devenu sujet d'ornement et de loisir, confié aux professionnels du paysage ou aux gestionnaires de la forêt. L'arbre paysans, qui pendant des siècles, a offert sa ramure pour la subsistance de millions de personnes est un mal-aimé. Ses formes tourmentées et noueuses dénotent face à la noblesse de l'arbre forestier au tronc élancé et lisse; ses bourrelets disgracieux dérangent,  sa beauté sauvage, silhouette animale ou humaine inquiète. A l'ère de la taille douce, il s'oppose aux canons arboricoles actuels. Et pourtant, les trognes figurent parmi les plus vieux arbres d'Europe, comme si leur taille régulière et sévère prolongeait leur existence au lieu de l'abréger. Formidable réserve de biodiversité, marqueurs des paysages ruraux et urbains, "centrales" à production renouvelable... Elles commencent à retrouver une place récemment confisquée par une économie dispendieuse, insouciante de l'avenir (...)"

 

Photos prises sur un chemin du Pays Fort (Cher) dans les collines d'Humbligny

 

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Les plessies réhabilitées

En randonnant sur les chemins du Morvan vous ne pouvez pas passer à côté de ces haies étrangement palissées. Ce sont les vestiges d'une technique ancienness, celle des plessies ou pléchies. Ces pléchies étaient jadis une technique de conduite des haies vives. De quoi s'agissait-il? On couchait les arbustes, très souvent des noisetiers, des hêtres ou même des jeunes charmes  et ont les enlaçait à un piquet. La pousse allait se poursuivre tout en assurant une haie quasiment infranchissable par les bovins ou les moutons.  Aavec le temps, année après année, les rejets et les pousses densifiaient ainsi la haie plèchée. Cette haie étaitt taillée, elle fournissait ainsi bois de chauffe et fagots. J'ai vue des vestiges de haies plessées, dont certaines restaurées à Ségur-le-Château (Corrèze). De même en Dordogne, à Bourrou un un travail de land-art a repris à so compte la technique des plessies. Mais la techniques a été largement diffusée dans toute l'Europe agro-pastorale et en France la plupart des zones de bocages ont adopté  la haie plessée.

Les végétaux qui vont constituéer la haie restent vivants et donnent ensuite une haie vive très dense.

 

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