La grange ovalaire de la ferme de La Rivière, commune de Saint-Eloi-les-Tuileries (Corrèze) telle qu'elle vient d'être restaurée. (Ph. B.S.)
Fonction des granges ovalaires et maisons-granges.- (article réactualisé en septembre 2022 ) Ceci est l'exemple d'une architecture vernaculaire typique des confins de la Corrèze, de la Dordogne et de la Haute-Vienne dans le pays arédien. Les granges ovalaires sont majoritairement (aujourd'hui) recouvertes de plaques de taules ondulées. Leur nombre était important à la fin du XIXè siècle. Ainsi par exemple on a dénombré les traces (via les plans cadastraux notamment) de deux cents granges ovalaires sur la commune de Payzac (Dordogne). Il n'en reste aujourd'hui qu'une vingtaine. Lorsque la couverture végétale, chaume, paille de seigle, a disparu au milieu du XXè siècle, la couverture d'urgence qui a été mise en place est celle des taules. Peu esthétique, mais seule solution pour sauver les granges, sinon elles seraient toutes détruites aujourd'hui.
La grange a un plan ovale (toiture et clos) typique qui présente en général un relèvement sur une façade où est aménagée l'entrée ou passage charretier.
Cette architecture des granges ovalaires est à préciser dans sa fonction. En effet la grange ovalaire était d'abord un espace de stockage du foin, avec un vaste fenil sous comble. Le rez-de-chaussée ou clos, était divisé en alvéoles ou compartiments à fonctions multiples. Avec probablement l'étable pour les bovins, la bergerie, la porcherie, le poulailler ou basse-cour, la réserve de bois, le stockage de racines pour les aliments du bétail. Plusieurs observateurs indiquent que certaines granges ont pu aussi abriter le logement sommaire d'une famille de métayers. Les différents compartiments sont accessibles depuis l'extérieur. La grange ovalaire a une fonction d'espace total de la ferme traditionnelle, l'espace central ou nef peut être aussi un lieu de réunion où est dressée la table les jours de grands travaux ou pour la noce ou le déjeuner d'un baptême. C'est aussi dans cet espace que la jeunesse organisait les bals familiaux traditionnels avec venue d'un musicien routinier. C'est dans l'espace central qu'on recule les charrettes chargées de foin en été.
Les granges ovalaires du Périgord-Limousin ne sont pas sans rappeler les granges pyramidales du Pays-Fort dans le Berry. Architecture proche, division de l'espace assez identique, fonction de ferme totale.
Les granges ovalaires visibles aujourd'hui ont toutes été construites à partir du début du XVIIè siècle et avant l'extrême fin du XIXè siècle. Il n'y a pas eu de construction au XXè siècle.
Sur la commune de Saint-Eloy-les-Tuileries en Corrèze, pas loin du Périgord, une opération de sauvetage d'une grange ovalaire et plus largement de la totalité de la ferme est en cours. C'est au hameau de la Rivière dans le Pays de Saint-Yrieix-la-Perche. Ce témoin de l'architecture paysanne construite en 1756, est en passe ici d'être sauvé par une opération exemplaire de reconstruction et de restauration (maçonnerie des murs portants, charpente, planchers) qui bénéficie d'importants financements publics.
Au stade actuel, les grands éléments de la grange ont été restaurés, et la toiture a retrouvé son habillage de chaume de seigle. Cette grange doit s'insérer dans un projet plus large d'écomusée en pays Arédien qui doit montrer le lien entre l'usage et le lieu, mettre en évidence les conséquences d'un espace sur les usages agraires et communautaires. On peut d'ailleurs s'interroger sur ce qui a pu primer... Ainsi qui a été à l'origine de l'espace ou de la communauté paysanne ? L'usage a-t-il imposé un espace ou l'espace a-t-il finalement imposé l'usage ?
En architecture, les granges ovalaires sont aussi appelées granges à cruck. Par allusion à cette technique de charpente repérée pour la première fois dans les construction rurales du nord de l'Ecosse. Le cruck est un arbalétrier d'une seule pièce qui part du sommet du faîtage et descend quasiment à la base des murs. Le système a cruck permettait de développer de grandes charpentes, mais il n'assurait pas une portance très forte. Il était très adapté à des toits de chaumes tels qu'ils ont ainsi recouvert les granges ovalaires à l'origine. Le toit à cruck ne supporterait pas de toitures en tuiles ou en ardoises, beaucoup trop lourdes.
Dans le Berry la grange pyramidale du Pay-Fort rejoint la grange ovalaire du Périgord-Limousin avec quelques nuances. C’est ainsi qu’une des granges sur la commune de Villegenon (Cher) comportait un espace de vie. C’est l’historien de Bourges Pierre Bailly qui a dressé le relevé de cette grange dite maison-halle de Villegenon, ou maison carrée de Villegenon, aujourd’hui disparue. La pièce de vie ou pièce d’angle comportait une cheminée et deux petites fenêtres. Ce n’est évidemment pas surprenant, la plupart des maisons de métayers, quel que soit le terroir étudié, ne comportaient que la pièce unique à multifonction.
Grange pyramidale de Vailly-sur-Sauldre (Cher), reconstruite à l'entrée du bourg.
On trouve des variantes de maison-halle dans d’autres régions. C’est ainsi que le tome V (1981) de la revue L’architecture vernaculaire, fait état de la Maison-Halle de Montcaret en Gironde. L’auteur de l'article, Christian Lassure, expose son étude ainsi :
« Dans son précieux ouvrage La maison de l’ancienne Lande, Pierre Toulgouat fait remonter l’aire de dispersion de ce qu’il appelle la maison landaise –et qui n’est qu’une variante couverte en tuiles-canal de ce que les européanistes dénomme maison-halle- depuis les Landes et à travers la Gironde et le Lot-et-Graonne jusque vers Sainte-Foy-la-Grande dans le sud-ouest du département de la Dordogne. Ce témoignage rejoint celui de Gwyn I.Meirion-Jones, dans son étude L’architecture vernaculaire et la maison paysanne, qui signale, pour Moncaret, l’existence de deux monographies de maisons-halle réalisées dans le cadre du chantier E.A.R. dans les années 1940. Il s’agit de maisons de polyculteurs où l’élevage tenait une grande place à côté d’une petite activité agricole. »
Le même volume de L’Architecture vernaculaire (page 57) évoque le cas d’une maison-halle en Berry sur la commune de Levroux (Indre) au lieu-dit Saint-Phallier. Les auteurs estiment probable l’existence dans cette grange-halle d’un espace de vie qualifié de petites chambres demeures.
On perçoit bien dans tous les cas que le bâtiment a une fonction totale. Il clot dans un même espace bêtes et gens, fonction familiale et agraire, il cerne l’espace intime et espace social et dans le cas probable du paysan-métayer, il détermine un espace d’encadrement et de contrôle fort des cellules familiales au service des maîtres. Il a donc une fonction pratique et rationnelle, économique au sens où il économise l’espace et les distances, il cerne, relie et fixe. Il organise toutes ces fonctions sous un même et unique toit. C’est donc bien la ferme totale qui est représentée par la halle qu’elle soit pyramidale, ovalaire ou maison-halle. Dans le cas de ces maisons ou granges, on a rapproché au maximum l'espace d'habitat de l'espace de production au point de les confondre. Le géographe Albert Demangeon (Les Maisons des hommes de la hutte au gratte-ciel, Paris, Editions Bourrelier) a même parlé de "maison outil" pour qualifier cet espace interpénétrant entre la fonction familiale et la fonction de production. Cette architrecture a-t-elle pu avoir une influence sur le statut du bien familial ? En effet on imagine mal que la grange pyramidale ici ou la maison-halle ailleurs puisse être partagée. Cette architecture induit forcément une unité successorale supposant un transfert du bien vers un unique héritier ... Ajoutons une autre originalité de ces maisons paysannes à opposer aux fermes à multi-bâtiments, comme on les rencontre dans les domaines de la Champagne Berrichonne ou dans le cas des bories du Périgord. Ici le lieu est unique, fermé sous toiture, il n'est en rien flexible, il est construit une bonne fois pour toute sans rajout possible. Il est important en revanche d'associer à ces bâtiments l'espace de l'environnement immédiat. On note dans le Berry la présence d'une aire proche, souvent en front de l'entrée charretière, qui était l'aire de battage des céréales.
L'originalité de la grange à cruck ou grange ovalaire
Extrait d'un exposé de Patricia Gaillard-Bans "Aspects de l'architecture rurale en Europe occidentale"
L'idée de base de la cruck-construction est de réaliser une infrastructure en bois à l'aide d'arbalétriers courbes assemblés à leur sommet en général par un petit entraint sans grande force de traction ou même avec un faux-entrait. Le poids de la couverture se trouve donc directement reporté vers le sol par les arbalétriers, les murs, du moins leur partie supérieure, ne jouant plus qu'un rôle de paroi. Tant pour assurer la stabilité du système que pour faciliter la circulation, on utilise les arbalétriers courbes, souvent formés d'un arbre entier et qui donnent à la charpente une curieuse allure d'ogive. La base de ces arbalétriers repose soit dans le sol, soit sur un dé de pierre (qui préserve le bois de l'humidité), soit encore dans la partie basse des murs (...)
On peut tout au plus penser qu'indépendamment de toute explication ethnique la cruck-construction apparaît sur les granges et les maisons, seulement là où une très forte tradition de la maison longue subsistait.
* Je recherche des témoignages et documents sur les usages sociaux autour des granges ovalaires du Périgord-Limousin.
Il existe un beau site très documenté présentant avec forces infographies l'architecture vernaculaire des granges ovalaires.
Ce site à consulter est le suivant:
http://content.yudu.com/Library/A15bzz/GrangesovalairesenPr/resources/5.htm?skipFlashCheck=true