Les gens de la forêt.- (actualisé en avril 2018) Il existe à Chaon en Sologne, dans l’enceinte du musée du braconnage, la reconstitution d’une hutte dite hutte du braco, mais qui peut s’apparenter à une hutte de bûcheron ou même de trappeur. L’architecture empirique, vernaculaire, simple, (presque une tanière) utilisait au mieux les matériaux de l’environnement Solognot forestier. Elle est constituée d’une armature de lattes de branches d’arbres (probablement du bouleau), le tout est recouvert d’une épaisse couche de terre sur laquelle a poussé l’herbe et la mousse assurant ainsi une protection thermique et contre l’humidité efficace. L’intérieur, une seule pièce, réunit l’essentiel pour une vie d’ermite avec un bat-flanc pour dormir, une tablette et une chaise, quelques ustensiles un petit outillage et un poêle à bois dont le tuyau renvoie vers l’extérieur la fumée. La structure et le réduit de la pièce unique n’indiquent pas une vie permanente dans l’abri. C’est plutôt un relais pour les chantiers dans la clairière ou pour passer quelques nuits en braconne. La cabane Solognote renvoie probablement à un usage de la vie dans les bois telle qu’elle a pu perdurer jusqu’au lendemain de la seconde Guerre mondiale. Tant que les bûcherons ont été des migrants de l’intérieur venant faire les coupes à la saison, et repartant quand le chantier était achevé. Tant que les grands domaines ont eu des gardiens qui ont pu être à la fois gardes-chasses, garde forestier et braco. Dans ce cas c’est une hutte d’affût un peu plus confortable que la simple hutte de feuillage qui camoufle, mais qui n’abrite pas. Cette cabane Solognote est probablement à classer dans la grande famille des loges de bûcherons, de charbonniers, de feuillardiers (en Périgord et Limousin), de scieurs de long (jadis dans les forêts du Périgord et du Limousin). En Berry les scieurs de long qui étaient des migrants de l’intérieur, venaient de la Loire, du Puy-de-Dôme et de la Creuse voisine. Dans les forêts du Périgord il descendaient de la Creuse et de la Corrèze. Les scieurs de long menaient leurs chantiers en hiver et rentraient au Pays à la fin du printemps ou au plus tard à la Saint-Jean d’été pour faire les gros travaux d’été dans leurs petites fermes.
Les bauchetons de la Puisaye
Décrivant les scieurs de long dans la Puisaye, les bauchetons, François Pierre Chapat dans Vagabondages en Puisaye (1999) écrit ceci: "La loge des bauchetons de Puisaye tenait à la fois de la hutte de trappeur, de l'intérieur d'un P.-C. de campagne en première ligne et de la résidence secondaire rustique...Elle était le fruit d'un oeeuvre collective de gens de même condition. (...) Certaines loges avaient belle allure. Rarement, une petite fenêtre dispensait une vague clarté, mais il valait mieux laisser la porte ouverte pour voir le blanc des yeux. (...) Chacun y possédait un coin personnel. Dans cet intérieur sombre et rustique régnaient des senteurs capiteuses de feuilles séchées, de fougère et de genêt, mêlées à la froide aigreur des anciens repas que venait adoucir le parfum du tabac gris d'autrefois. Et je me souviens de la lourde odeur de velours mouillé des paletots des hommes. (...) Lorsqu'il neigeait ou que le temps était trop mauvais, la coinchée les retenait au chaud parfois jusqu'à ce que, lassés, ils se décident à partir chez eux, sans avoir pu travailler seulement de quoi payer leur pain."
Loge et loges
On retrouve un usage des grandes cabanes de bûcherons qui servaient à loger les hommes pendant le temps de la coupe. C’était donc bien des espaces à vivre malgré leur précarité. Et s’il est vrai que dans certains pays forestiers on peut considérer que la cabane est un habitat temporaire, la loge Solognote semble bien être construite pour durer et pour être régulièrement réutilisée ; elle serait donc un refuge permanent pour usage épisodique. Le foisonnement des toponymes loge ou loges trahit les anciennes implantations de cabanes forestières en ces lieux. En Berry les XVIIIè et XIXè siècles peuvent être qualifiés de siècles verriers et bûcherons pour désigner l’exploitations forestières très liée à des bassins industriels très localisés, qu’il s’agisse des forêts de l’Aubois ou de celles d’Ivoy. Les loges de bûcherons et de charbonniers y ont été nombreuses dans un secteur où la société des travailleurs de la forêt s’est organisée dès le XIXè siècle en groupe social constituée, conscient de sa condition, revendicatif. Et il y a bien une sorte de société de tolérance de la loge des bois pour une population qui est pendant une grande partie du XIXè siècle considérée comme un groupe social dangereux. Qu’il s’agisse des braconniers qui contournent la loi et se jouent de l’ordre des grands propriétaires fonciers, qu’il s’agisse des bûcherons, charbonniers, etc. ouvriers de la forêt. S’y ajoutent des migrants qui en Berry et Sologne arrivaient du Morvan, les rouliers ou galvachers qui se déplacent avec leurs attelages de quatre ou six boeufs pour transporter les énormes troncs de chêne.
On observe bien cette classe dite dangereuse avec les syndicats des bûcherons du Berry qui s’organisent en plein XIXè siècle. L’exemple est donné avec le syndicat de Saint-Baudel qui est composé d’un véritable prolétariat rural. On a bien là une sorte d’anomalie nationale, la conscience syndicale s’organisant en général dans le milieu de l’industrie urbaine, sauf dans ce Berry rouge où les ferments d’une conscience se sont imposés chez les petits travailleurs ruraux dont les bûcherons.
Une autre corporation des bois a été très active dans le nord du Périgord et en Limousin, ce sont les feuillardiers. Par allusion aux feuillards, les lattes de châtaigniers à multi-usage de vannerie, de menuiserie, de tonnellerie, etc. et les piquets de soutènement de la vigne. On assiste à une prise de conscience des feuillardiers qui vivent et travaillent dans les coupes dans une cabane typique, loge recouverte de copeaux de châtaigniers. Point d’orgue de cette prise de conscience, ce sont les grèves des feuillardiers de 1900 et 1901 avec la création d’un syndicat des ouvriers feuillardiers en 1900. L’historien Philippe Gratton a étudié la question paysanne et l’histoire de la conscience politique paysanne à la charnière des XIXè et XXè siècle. Il montre une émergence de la conscience des luttes des travailleurs pauvres de la terre avec les grandes grèves de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. L’auteur travaille sur le déroulé et l’environnement de la contestation chez les bûcherons du Berry, les feuillardiers du Limousin et du Périgord, les résiniers des Landes, les viticulteurs du Midi, les métayers du bocage Bourbonnais, etc.
Les loges des bois dans l'enquête de terrain d'Eugène Hubert en bas-Berry
Les éditions Lucien Souny (en Limousin) viennent de republier fin 2010 un document rare et exceptionnel Le Bas-Berry, histoire archéologique du département de l'Indre d'Eugène Hubert en quatre volumes dans un coffret. Il s'agit d'une série de quatre ouvrages historiques didactiques, ouvrage d'imprimerie exceptionnel et somme d'érudition non moins rare. C'est la réédition d'un travail d'inventaire et de connaissance d'une histoire globale de quelques cantons de l'Indre conduit au début du XXè siècle par le chartiste Eugène Hubert, archiviste départemental de l'Indre alors. Dans le fascicule sur le canton d'Ardentes, il décrit ainsi les loges des travailleurs de la forêt de Châtreauroux telles qu'il les a observées en enquêteur de terrain à la fin du XIXè siècle et au début du XXè:
Ci-dessus dessin d'une loge de la forêt telle que restituée par Eugène Hubert dans son ouvrage.
" On appelle loges les huttes formées de planches, de mottes de gazons, construites par les ouvriers des bois pour l'exploitation des coupes. Les différents groupes de ces huttes répartis sur tous les points de la forêt ont donné naissance à des villages entiers désignés sous le nom de Loges-de-Dressais, Loges-de-la-Cueille, Loges-de-Brenne, Loges-des-Cherpères, Loges-de-Jopeau, etc. Les deux premiers villages ont tout le temps joué un rôle important dans l'industrie du bois. Les loges de Dressais furent uniquement habitées par des voituriers en charbon, des charbonniers, des bûcherons, des journaliers et même des gens sans aveux, qu'un mémoire de 1737 qualifie de bandits. Outre les loges qui leur servaient de demeure, ces derniers en avaient d'autres pour mettre leurs chevaux et serrer les fourrages. Les cinquante-trois ménages qui les composaient formaient une espèce de <république>, ne connaissant aucun maître, ne payant ni taille ni gabelle. Le vin s'y vendait dans plusieurs cabarets, mais jamais les commis aux aides n'avaient osé y pénétrer. Les loges étaient le refuge des faux-sauniers et "le sel, dit le mémoire, y était commun comme aux salines". Il suffisait de se réfugier aux loges pour s'affranchir des impôts ou échapper aux poursuites de la justice, si un crime avait été commis." (L'ouvrage réédité d'Heugène Hubert est en vente dans les librairies de l'Indre où auprès des Editions Lucien Souny (éditions-souny@orange.fr)
Ci contre photo d'une hutte très simple que l'on voit (photo réalisée en janvier 2012) à de nombreux exemplaires dans les forêts de hêtres situées au pied du Puy-de-Dôme dans la chaîne des Puys, en Auvergne. iI s'agit probablement de huttes de chasseurs construites très sommairement et rapidement reconstruites au moment des chasses.
Ci contre photo éditée en carte postale au début du XXè siècle, une vue de la cabane refuge de La Banne d'Ordanche au-dessus de La Bourboule dans les monts Dore. Cette cabane refuge construite avec les matériaux naturels locaux (perches de bois, couverture en terre végétalisée) était un abrit de fortune dans un environnement au climat particulièrement rude, Mais aussi un accueil pour les promeneurs du sentier d'altitude où on vendait au verre ou à la chopine du vin clairet. Une série de cartes postales, sur le même thème, fut alors éditée, ces vues constituent un témoignage désormais unique sur l'occupation humaine des pentes de la Banne d'Ordanche. Ultérieurement, au même endroit fut construit un accueil baptisé "Le refuge" à usage de lieu de restauration des randonneurs. "Le refuge" a été détruit à la fin des années 1970.
Je recherche des témoignages sur l’usage des huttes des travailleurs des forêts dans la forêt de La Bessède en Périgord, dans la forêt de la Double en Périgord, dans la forêt d’Ivoy en Berry et dans la forêt de Chœurs-Bommiers en Berry, dans les forêts de la chaîne des Puys en Auvergne ou dans les forêts du Limousin.