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Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


Journée de juin 1848, le procés d'un grand rêve à Bourges

Publié par Bernard Stéphan sur 19 Mars 2019, 11:11am

Catégories : #Histoire, mémoire vivante

Reprise de la pièce écrite à Bourges pour se souvenir du procés des insurgés de 1848 qui eut lieu à Bourges en 1849. La pièce avait été jouée en septembre 2007, elle est rejouée dans une forme adaptée de lecture-théâtralisée les 20 et 21 mars 2019 au Palais Jacques Coeur à Bourges.

En 2007 j'avais interviewé l'auteur, Evelyne Loew. A relire aujourd'hui pour ce nouveau rendez-vous  qui marque les 170 ans de l'événement. (réactualisée en mars 2019)

Rencontre-interview avec Evelyne Loew, l'auteur du texte.

 

Comment la presse de l’époque évoque-t-elle ce procés de la haute cour de justice réunie à Bourges au Palais Jacques Cœur en 1849 ?

 

Lorsqu’on lit la presse de l’époque de Bourges l’événement lui-même n’occupe pas toute la place. Le chemin de fer ça remue… Tout ce qui touche aux ventes de terrains, les expropriations, le coût des transports des moutons, ça préoccupe beaucoup. Et il y a de grands pavés sur les divertissements, le théâtre. Et sur le procès lui-même c’est une petite colonne chaque fois, mais il n’y a pas énormément de choses localement. Quelques arrestations, il note quelques arrestations. Six personnes tenant des propos hostiles au gouvernement arrêtées dans un café de la rue St Bonnet, une personne arrêtée rue de la Poêllerie pour les mêmes motifs, sinon il y  un foyer de menées démagogiques près d’Issoudun où on envoie une compagnie de voltigeurs. On dit qu’il faut contrebalancer les effets de la propagande socialiste. Alors il y a des souscriptions pour un organisme de propagande anti-socialiste. Je constate qu’il n’y a pas eu systématiquement de comptes-rendus…

 

Et la presse nationale…

 

Il y a des comptes rendus plus denses. On y évoque Bourges la ville calme, d’ordre …

 

La ville de Bourges était en Etat de siège

 

Pourquoi Bourges… Est-ce parce que c’était la ville symbole de l’ordre ou de la réaction ?

 

Apparemment… Ils ne voulaient pas que ça se passe à Paris, il y avait encore risque d’émeutes. Et ce qui est impressionnant, ce sont les forces de police déployées à Bourges. Et ça paraît insensé par rapport à l’enjeu. Ils jugeaient seize ou dix-sept personnes et c’était des clubs républicains, c’était très limité, ce n’était pas de grands syndicats, de grands partis, c’était des forces d’idées. Il y a quand même un nombre incroyable de forces de l’ordre. La ville est en état de siège. Dans le journal local, ils parlent surtout du problème de ravitaillement et de logement des soldats et des troupes. Il y a trois escadrons du dixième régiments et dix wagons de gardes mobiles. Dans un journal on lit « toutes les rues sont occupées militairement ». Citation du Journal du Cher : « On ne rencontre dans nos rues que militaires de toutes armes, policiers étrangers ».

 

Le travail que vous avez mené était-il facile, y a-t-il beaucoup de documentation accessible ?

 

Il y a beaucoup de chose, mais il n’y a pas de livre, ni de thèse. Ce sont des documents bruts. J’ai lu à peu près tous les bouquins sur la Seconde République. Il y en a eu assez récemment qui analysent les mouvements utopistes du XIXè siècle. Mais souvent on s’arrête aux journées de juin et ensuite on redémarre sur Louis-Napoléon Bonaparte et il y a un trou entre juin et le coup d’Etat.

 

Refaire la Révolution française sans la Terreur

 

Dites-nous, cette Seconde République finalement elle est très à gauche. Elle instaure la journée de 10 heures, les ateliers nationaux…

 

Oui… Les ateliers nationaux, c’est déjà le traitement social du chômage. C’est la grande idée de Louis Blanc, la grande figure. Il voulait concevoir une organisation du travail. Et c’est un moment d’utopie et de grand développement du capitalisme. On est à un tournant, on ne sait pas trop ce qui va se passer. Il y a des forces qui sont pour l’organisation du travail, l’éradication de la pauvreté possible avec cette richesse nouvelle qui arrive de l’industrie… Et il y a une référence à la Révolution française vue comme généreuse,  mais n’ayant pas abouti à cause de la Terreur. Donc on revisite la Révolution française, voir Lamartine et l’histoire des Girondins. Ils se sentent investis. L’idée  c’est de reprendre la Révolution française, la débarrasser du spectre sanglant de la Terreur, et ainsi continuer l’œuvre grace à la richesse produite par l’industrie. C’est ça qui est dans l’air du temps.  Mais on est dans le vide le plus complet des moyens. Il n’y a pas d’organisation politique, de corporation. On est en retard par rapport à l’Angleterre où il y a déjà les TRADE-UNIONS . En France il n’y a rien…

 

Donc on croit que le progrès est facteur d’émancipation…

 

Exactement, complètement. Il y a aussi l’idéal romantique qui est encore là. Les grands romantiques sont encore là. Dumas est là. Sand aussi…

 

George Sand retirée après les Journées de juin

 

Justement George Sand… Nous y voilà ! Pourquoi George Sand est-elle absente ?

 

Je ne pouvais pas tout traiter. Au début je pensais faire une première partie sur le procès lui-même et George Sand n’est pas là parce que d’une part elle était malade et d’autre part elle craignait en étant présente de faire du tort à Barbès. C’est ce qu’elle dit dans sa correspondance. Elle échange avec Barbès avec lequel elle était très amie, des correspondances dans lesquelles elle lui dit "mon cher ami je ne suis pas là parce que je pourrais vous faire du tort". Dans la réalité elle s’était retirée après les journées de juin qu’elle avait suivies puisqu’elle avait écrit un journal, elle a fait des comptes rendu du gouvernement provisoire. Elle a été très active durant la Seconde République et après les journées de juin elle est revenue  sur ces terres. Alors, moi, je pensais faire une première partie sur le procès, celle qui est jouée en ce moment à Bourges, et une seconde partie où il n’y aurait eu que des femmes, irréelles, mais au travers desquelles on aurait eu la pensée féminine de l’époque. Parce qu’il y a eu  des  femmes qui ont élaboré des pensées passionnantes. Comme Delphine de Girardin qui était journaliste et qui a écrit des choses magnifiques, George Sand bien sûr. Cette  seconde partie serait plus théorique, sur l’évolution de la société où on n’aurait que des voix féminines pour contrebalancer ce procès dans lequel il n’y a que des hommes. Et puis dans l’écriture, déjà traiter le procès en une heure, une heure trente, c’était beaucoup. C’était un défi impossible. Et avec les sept personnages du procès c’était impossible.  Et comme je voulais que le spectacle fut accessible à un public néophyte, il fallait que je donne des clés pour que les gens comprennent. J’ai mis de côté la seconde partie, je compte bien l’écrire et on la donnera dans quelques temps à la maison de George Sand avec de nouveau un spectacle d’une heure trente qui serait beaucoup plus axé sur les utopies, dans lequel on pourrait traiter de Fourrié, de Proudhon, des Saint-simoniens à travers des grandes figures féminines. George Sand, mais pas seulement parce qu’il y a eu des clubs féminins en 1848. Donc voilà, c’est en projet.
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Est-ce qu’on peut dire que c’est l’époque de la naissance du marxisme ?

 

Oui, justement Marx élabore ses théories…

 

Certes, Marx est là, mais est-ce que la société en a conscience ?

 

Oh non, pas du tout. Marx est un obscur chercheur… Non la société n’est pas au  courant, mais par contre les idées marxistes s’élaborent à partir de 1848 complètement en rejet de ces utopies. On parle même à l’époque de communisme et de socialisme. Mais ça n’a pas du tout le même sens que de nos jours.  Alors  je ne l’ai pas mis volontairement… Parce que lorsqu’on disait les communistes, c’était  les gens qui créaient des communautés. Donc ce n’est  pas le même sens. Et même idéologiquement, ils étaient opposés. La pensée marxiste s’est constituée contre les courants communautaro-utopiques qui ont fondé des communautés ici ou là et qui ont plus ou moins perduré. Je vais m’intéresser à cela pour la seconde partie, je veux savoir ce que sont devenues ces communautés.

 

Campagne de calomnies contre Blanqui

 

Et il y a  l’altercation entre Blanqui et Barbès…

 

C’est le fameux document de Taschereau qui est au centre de cette polémique. On sait que ce document est un faux produit par la police pour discréditer Blanqui. Soi-disant Blanqui aurait touché de l’argent pour expliquer comment fonctionnaient les sociétés secrètes… Ce qui est totalement faux. Le pauvre Blanqui s’est défendu avec ses moyens. Ce n’était par un grand expansif, il était très renfermé, alors il avait pondu un mémoire, écrit pour se défendre, mais il refusait de parler de cela publiquement. Pour lui c’était écrit,  sa défense était sur le papier, point final. Une attitude qui ne l’a pas servi, la rumeur allait bon train, George Sand par exemple pensait que Blanqui avait été collaborateur sur les bords. Ce document Taschereau dont on sait maintenant que c’était un faux, était sorti peu de temps avant, en pleine période de 1848, pour discréditer Blanqui qui prenait pas mal d’influence par sa parole, par son club républicain. Et pendant le procès, Barbès qui était une personnalité très différente de Blanqui, très expansif, jovial, dans son témoignage, accuse indirectement Blanqui, il dit « vous n’êtes pas si net que ça, nous avons lu les révélations de M Taschereau»… Blanqui ne répond pas, reste impassible et c’est Flotte qui était l’ami de Blanqui, un cuisinier, qui se dresse, repousse les gendarmes, on a les notes d’audiences, et qui dit « expliquez-vous M Barbès ! » Et Barbès réplique : « expliquez-vous vous-mêmes »… Alors Blanqui intervient et dit qu’il faut que les coaccusés se respectent… Mais le ton est très animé, en effet Barbès lance « ce document Taschereau est vrai ! » Et alors Flotte lui lance « Je t’arrangerai à l’occasion ! ». Alors Barbès réplique « Tu t’es déshonoré, je t’attends ! »  Le procureur Baroche intervient, il se régale : « Ne nous donnez pas le triste spectacle d’accusés qui se déchire ! » Alors Barbès lance : « Blanqui, pourquoi avez-vous été gracié en 46 ? » L’autre ne répond pas et Flotte dit « Il lui restait huit jours à vivre ». Alors effectivement, Blanqui a été sorti d’un pénitencier, Dioullens ou le Mont-Saint-Michel, je ne sais plus, pour être mis dans un hôpital. On pensait qu’il allait mourir. Et Barbès réplique : « Vous avez été mis dans un hôpital magnifique, vous alliez mourir… Quatre de nos compagnons ne sont-ils pas morts, moi-même j’étais malade et on ne m’a pas sorti ! » Et  ça se termine comme ça. Flotte essaye d’aller prendre au collet Barbès, on les fait remettre à leur place. L’alternation en fait n’a pas eu lieu directement entre Barbès et Blanqui, et pourtant les historiens ont retenu ça…

 

Vidocq s'évade du train à Vierzon

 

Parmi les protagonistes, est-ce que le personnage de Vidocq, ce témoin, était à ce point, comme vous l’avez campé, un personnage  people et presque la caricature de lui-même ?

 

Oui, très folklorique. Il était quasiment costumé, habillé d’une manière très originale, il avait écrit ses mémoires qu’il vendait. Ce qui n’est pas vrai, c’est qu’il n’a pas parlé argot, j’ai rajouté la dose, mais par contre il a écrit un dictionnaire d’argot très passionnant, assez volumineux. Ce qui est très drôle dans Vidocq, c’est qu’il se vente sans aucune pudeur de son amoralisme. Dans ses mémoires, ça commence par ses vols lorsqu’il était enfant. Il avait construit un vrai personnage. Et ce qui est amusant, c’est que lorsqu’il est venu témoigner, il était sous mandat d’arrêt. Et ce que j’ai découvert, c’est qu’il est ramené à Paris sous bonne garde et qu’il va profiter de l’arrêt du train en gare de Vierzon pour s’évader. Il va continuer sa carrière d’escroc en France et ailleurs en Europe. C’est un personnage qui a inspiré de manière très proche le Vautrin de Balzac… C’est Vautrin, dans Splendeurs et Misères des Courtisanes. C’est un personnage ! Ses mémoires sont formidables, il écrivait bien, il se mettait en scène lui-même, complètement. Il témoigne, il interpelle les accusés…

 

L'invasion de l'Assemblée

 

Pour revenir aux événements, cette invasion de l’Assemblée le 15 mai 1848, est-ce une manip, est-ce une manière de préparer le retour d’un régime fort ?

 

C’est confus et justement dans les plus récents livres d’histoire sur cette période et sur ces grandes journées on a des certitudes. Les historiens jusqu’à une période assez récente étaient dans l’expectative. Les livres plus récents, parus depuis les années 2000, sont très clairs sur la théorie de la manipulation. Ils disent que les leaders républicains n’avaient aucune envie de renverser la République… Pour eux, le 15 mai c’est la venue à l’Assemblée Nationale pour porter une pétition pour soutenir les patriotes polonais, pas autre chose. Ce que j’ai lu, c’est que le dénommé Hubert qui était cité dans les accusés, qui n’était pas présent au procès et qui  apparemment a été manipulé par la préfecture de police, c’est celui qui a brandi la pancarte sur laquelle on lisait « L’ASSEMBLEE EST DISSOUTE ». Ce qui était quand même la faute la plus grave. Parce que personne ne l’a dit, mais le Hubert en question a brandi cette pancarte. Et ce Hubert est venu vers Bourges pour témoigner au procès et on l’a arrêté en cours de route et on l’a empêché de venir témoigner. A-t-on pensé que si Hubert venait témoigner, ça ferait désordre ou que ce témoignage serait gênant ? En tous les cas c’est une affaire très louche… Et il est parti en Angleterre. La vérité, c’est que le 15 mai, les républicains rouges auraient pu faire un coup de force et ils ne l’on pas fait. En tous les cas ils ont tous été arrêtés le 16 mai. Là, le pouvoir profite de la manif pour en finir avec les leaders rouges. Donc les clubs républicains se sont retrouvés sans têtes pensantes et tout de suite après commence la remise  en cause de tous les acquis de la Seconde république, on remet aux voix tous ce qui avait été gagné, on dissout la commission du Luxembourg qui réfléchissait à l’organisation du travail, on dissout les ateliers nationaux et on somme les ouvriers des ateliers de s’engager dans l’armée ou de quitter Paris, ce qui déclanche les journées de juin. Et les journées  de juin  elles sont désespérées. Ce ne sont pas des barricades avec des mots d’ordre, avec des vraies revendications. Les comptes-rendus sont sinistres. Les ouvriers qui défilent scandent une litanie lugubre, sourde, « Du pain et du plomb » et les journaux disent que c’est une vraie tragédie.  Et vient la répression. Et on est étonné du nombre de morts, plus de quatre mille morts ! Et il y a des quartiers de Paris quasiment rasés ! C’est terrible. Il y a toute une stratégie pour faire table rase, le pouvoir fait monter la pression. L’armée est stationnée autour de Paris et à un moment donnée l’armée envahie Paris. Ce n’est pas aussi violent que la Commune, mais presque. Et hélas c’est oublié. Lorsque je préparais ce travail je parlais de ça à mes amis… Les gens ont du mal à situer à quel moment ça se passe. Heureusement que ces grands noms Barbès, Blanqui, ont leurs avenues… Mais cette Seconde République a été tellement courte… Et pourtant les idées nous portent jusqu’à aujourd’hui. Mais les gens ont du mal à situer alors que la Commune est beaucoup plus ancrée. En fait ces événements et la Seconde République progressiste durent de Février à  Juillet 1848. Après juillet, c’est le basculement et les idées de 48 sont alors derrière.

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