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Souvenir d'Alain Robbe-Grillet à Bourges
Publié par Bernard Stéphan
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21 Novembre 2018, 16:51pm
J'avais rencontré Alain Robbe-Grillet à Bourges en 2004 (c'était le 18 novembre), il passait deux jours dans la capitale du Berry, invité pour les rencontres de la Fédération nationale des maisons d'écrivains. Déjeuner avec quelques participants et le maître, conversation entre une conférence et un verre de vin... Et ces notes prises...
Le pape du nouveau roman. « Il ne peut pas y avoir de pape puisqu’il n’y a pas d’église. André Breton a été le pape du surréalisme. Il excluait, il sanctionnait… Je me souviens d’une époque où on considérait que le seul roman possible était le roman de type balzacien. Je n’étais pas le pape. J’ai été volontiers le commis voyageur du nouveau roman. L’œuvre des écrivains qui s’y rattachent ne ressemble pas à Eugénie Grandet. Nous étions célèbres, mais sans lecteurs. On disait qu’on était illisible ! »
(Il cite Sarraute, Butor, Simon, Pinget) : « Une fois que nous avons été groupés, on s’est mis à parler de nos œuvres. Chacun de ces écrivains a été poussé par moi pour aller le plus loin possible dans sa folie, dans ce qu’il avait envie de faire. Le livre qu’on propose au lecteur est comme une maison. Il va la transformer à son goût et y faire son propre chemin. C’est une œuvre ouverte, l’œuvre ouverte comme dit Umberto Eco. »
L’élection à l’Académie française. « Pierre-Jean Rémy avait dit, moi vivant Alain Robbe-Grillet n’entrera pas à l’Académie française. J’ai été élu et je lui ai dit tu devrais te suicider ! Concernant l’Académie, je ne porterai pas l’épée, pas plus que l’habit vert. Ils ne me connaissent pas, s’ils croient que je vais céder, ils se trompent ! »
Les maisons d’écrivains. « Je regrette que la maison de Flaubert n’ait quasiment pas survécu. Mais y serais-je allé ? Je n’ai jamais cherché à rencontrer les écrivains que j’aimais. Dans la muséification il y a des choses tellement incroyables ! La maison de Goethe à Francfort a été reconstruite à côté, c’est un faux. J'ai bien connu l'Allemagne. Pendant la guerre j'ai été enrôlé dans le STO et j'ai été ouvrier-tourneur à Nuremberg. La vérité d'une maison d'écrivain ne peut pas m'inciter à lire.
Je me souviens d'une maison d'écrivain à Palma de Majorque. C'était alors une petite ville charmante. Au-dessus de la ville il y avait la maison de Camilo José Cela (*). Je vais le voir. Dans le jardin toutes les allées portaient un nom de rue à son nom. Chaque fois que dans une ville on donnait son nom à une rue, on lui adressait un exemplaire de la plaque ! Il s'empressait de la poser sur un piquet pour ainsi baptiser les allées du jardin ! Et sa maison, il la faisait visiter par son fils. Et dans chaque pièce il y avait quelques feuillets, et le fils disait: l'écrivain a écrit tel livre ici. Dans la pièce suivante il y avait quelques autres feuillets et le fils poursuivait: l'écrivain a écrit tel livre ici. Et ainsi de suite dans chacune des pièces. C'était d'un grotesque absolu ! La visite s'est achevée par la cave. Il avait une immense cave à vin avec des milliers de bouteilles vidées, signées par les gens avec lesquels il avait bu chacune des bouteilles. Il m'a ressortit une bouteille que j'avais bue avec lui, là, il y avait trente ans, et que j'avais signée. Et nous avons bu une nouvelle bouteille que j'ai à nouveau signée... Alors, est-ce que cette cave de bouteilles vides ça fait lire des livres ? Mais si la maison n'est pas habitée, ça fait un peu fossile. Et il y a des maisons qui ont tellement de succès qu'on a dû les modifier pour faciliter le passage des visiteurs, l'accueil,etc.> (*) Camilo José Cela, écrivain espagnol galicien (1916), écrivain réaliste, conteur, prosateur. Les maisons de Robbe-Grillet.« Il y a deux maisons auxquelles j’ai attaché une importance extrême. Ma maison natale à Brest, rasée par les américains et reconstruite par ma mère. Elle a conservé l’escalier en bois de la maison détruite. L’escalier avait subsisté. Et il y a la deuxième maison, aux Ménil-aux-Grains, acquise en 1963. Je voulais un château… On voulait vivre à la campagne. Ma femme a dit oui, mais pas dans une fermette, dans un château. Un jour on a eu le coup de foudre pour un petit château Louis XIV avec son parc. C’est mon éditeur, Mathieux Lindon, qui m’a acheté cette maison. Il s’est remboursé avec mes livres. Mais à l’époque où il a payé le château, je ne vendais rien ! Mes droits d’auteur m’ont ensuite permis de rétablir ce lieu, de le restaurer. Peu à peu tout l’argent que j’ai gagné a été englouti dans cette maison. Et en plus je l’ai introduite dans quelques travaux littéraires.
Qu’est-ce que ça va devenir ? C’est notre question. Prenez la maison de Gide, elle a été vendue par nécessité. C’est alors que nous rencontrons l’IMEC (Institut Mémoire de l’Edition Contemporaine) qui s’intéresse aux archives des éditeurs et des écrivains vivants. C’est l’abbaye d’Ardenne en Normandie, restaurée, qui accueille l’IMEC délocalisée. Au même moment l’Etat a encouragé les régions à acheter des maisons d’écrivains sans héritier. Ils achètent et laissent le propriétaire en place. J’y ai le droit d’usage et d’habitation jusqu’à ma mort. Et que fait-on de ma maison après ma mort ? Un musée… C’est pas très amusant. Il y a une convention entre le conseil régional, l’IMEC et moi pour dire qu’on ne peut pas en faire n’importe quoi. »
Victoria Ocampo. « Dans La Maison de Rendez-vous il y a une maison d’écrivain. Celle de Victoria Ocampo qui a régné sur les lettres argentines. Elle faisait la revue SUR, c’est tout le milieu intellectuel de Borges au début du XXè siècle à Buenos-Aires. Il y avait un palais en bois bleu où Victoria Ocampo vivait. Pendant la guerre, elle était à Paris et elle avait hébergé Roger Cailloix. Lorsqu’elle était jeune, elle était d’une très grande beauté. Moi, dans le souvenir de mon livre, c’était une vieille dame qui vivait avec les photos de sa jeunesse. J’ai le souvenir d’un voyage en bateau dans cette région, c’était sur une sorte de canal, il y avait une forêt épaisse et nous allions jusqu’à son palais bleu. Il y avait là Dos Passos qui, lorsqu’il se penchait en avant, laissait voir dans la poche arrière de son pantalon une flasque de whisky. En arrivant, Victoria Ocampo nous avait dit qu’elle voulait faire de cet endroit une maison d’écrivain. Mais face à ce palais bleu, sur un canal dans la forêt vierge, j’avais vu autre chose et j’avais dit à Victoria qu’elle devrait en faire plutôt un bordel de luxe ! Elle n’avait pas apprécié. »
La littérature aujourd’hui. « Il y aura toujours des romans balzaciens… C’est plus confortable. Dans La Nausée de Sartre, il y a un personnage qui se soigne en recopiant Eugénie Grandet. Il y aura toujours des romans balzaciens ou des romans de Dickens. Les jeunes gens n’ont pas l’ambition démesurée que nous avions de reconstruire le monde. Par exemple Duras avait une conviction de son oeuvre extraordinaire, avec une démesure louable. Cette démesure manque, mais je crois qu'elle reviendra. Lorsque Duras avait achevé un livre, elle disait j'ai écrit le plus grand roman de tous les temps. Rien que ça !...>>
L'homme avait été drôle, joyeux compagnon, passionnant, il s'était prêté au jeu de la conversation avec les participants à ces journées et avec quelques journalistes dont votre serviteur. Lorsqu'il avait cherché un lavabo dans le Museum d'Histoire naturelle où se déroulait les rencontres, il était tombé nez-à-nez dans le hall avec un élan naturalisé. <<Salut toi ! Moi aussi je suis un dinosaure !>> avait-il lancé en caressant la bête. Après le travail, le soir, dans les rues de Bourges, il avait entraîné quelques hôtes dans quelques bistrots... Il voulait déguster les vins du Berry. Ce qui fut fait et... bien fait. Mais nous n'avons alors pas pris de notes.