J'avais rencontré Alain Robbe-Grillet à Bourges en 2004 (c'était le 18 novembre), il passait deux jours dans la capitale du Berry, invité pour les rencontres de la Fédération nationale des maisons d'écrivains. Déjeuner avec quelques participants et le maître, conversation entre une conférence et un verre de vin... Et ces notes prises...

Le pape du nouveau roman. « Il ne peut pas y avoir de pape puisqu’il n’y a pas d’église. André Breton a été le pape du surréalisme. Il excluait, il sanctionnait… Je me souviens d’une époque où on considérait que le seul roman possible était le roman de type balzacien. Je n’étais pas le pape. J’ai été volontiers le commis voyageur du nouveau roman. L’œuvre des écrivains qui s’y rattachent ne ressemble pas à Eugénie Grandet. Nous étions célèbres, mais sans lecteurs. On disait qu’on était illisible ! »
Je me souviens d'une maison d'écrivain à Palma de Majorque. C'était alors une petite ville charmante. Au-dessus de la ville il y avait la maison de Camilo José Cela (*). Je vais le voir. Dans le jardin toutes les allées portaient un nom de rue à son nom. Chaque fois que dans une ville on donnait son nom à une rue, on lui adressait un exemplaire de la plaque ! Il s'empressait de la poser sur un piquet pour ainsi baptiser les allées du jardin ! Et sa maison, il la faisait visiter par son fils. Et dans chaque pièce il y avait quelques feuillets, et le fils disait: l'écrivain a écrit tel livre ici. Dans la pièce suivante il y avait quelques autres feuillets et le fils poursuivait: l'écrivain a écrit tel livre ici. Et ainsi de suite dans chacune des pièces. C'était d'un grotesque absolu ! La visite s'est achevée par la cave. Il avait une immense cave à vin avec des milliers de bouteilles vidées, signées par les gens avec lesquels il avait bu chacune des bouteilles. Il m'a ressortit une bouteille que j'avais bue avec lui, là, il y avait trente ans, et que j'avais signée. Et nous avons bu une nouvelle bouteille que j'ai à nouveau signée... Alors, est-ce que cette cave de bouteilles vides ça fait lire des livres ? Mais si la maison n'est pas habitée, ça fait un peu fossile. Et il y a des maisons qui ont tellement de succès qu'on a dû les modifier pour faciliter le passage des visiteurs, l'accueil,etc.>
(*) Camilo José Cela, écrivain espagnol galicien (1916), écrivain réaliste, conteur, prosateur.
Les maisons de Robbe-Grillet. « Il y a deux maisons auxquelles j’ai attaché une importance extrême. Ma maison natale à Brest, rasée par les américains et reconstruite par ma mère. Elle a conservé l’escalier en bois de la maison détruite. L’escalier avait subsisté. Et il y a la deuxième maison, aux Ménil-aux-Grains, acquise en 1963. Je voulais un château… On voulait vivre à la campagne. Ma femme a dit oui, mais pas dans une fermette, dans un château. Un jour on a eu le coup de foudre pour un petit château Louis XIV avec son parc. C’est mon éditeur, Mathieux Lindon, qui m’a acheté cette maison. Il s’est remboursé avec mes livres. Mais à l’époque où il a payé le château, je ne vendais rien ! Mes droits d’auteur m’ont ensuite permis de rétablir ce lieu, de le restaurer. Peu à peu tout l’argent que j’ai gagné a été englouti dans cette maison. Et en plus je l’ai introduite dans quelques travaux littéraires.
L'homme avait été drôle, joyeux compagnon, passionnant, il s'était prêté au jeu de la conversation avec les participants à ces journées et avec quelques journalistes dont votre serviteur. Lorsqu'il avait cherché un lavabo dans le Museum d'Histoire naturelle où se déroulait les rencontres, il était tombé nez-à-nez dans le hall avec un élan naturalisé. <<Salut toi ! Moi aussi je suis un dinosaure !>> avait-il lancé en caressant la bête. Après le travail, le soir, dans les rues de Bourges, il avait entraîné quelques hôtes dans quelques bistrots... Il voulait déguster les vins du Berry. Ce qui fut fait et... bien fait. Mais nous n'avons alors pas pris de notes.
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