Ecrivain-paysan, Claude Michelet avait choisi la terre. Celui qui est mort ce 26 mai 2022, confiait qu’il avait vécu grâce à deux assolements : « les vaches limousines et la littérature ». Pilier de l’école de Brive, il avait labouré au plus profond le sillon des romans de terroirs. Il se disait « écriveur » parce que disait-il « ça rime avec agriculteur-éleveur ». Il s’en expliquait dans cette interview de 1981.
Je débutais en journalisme. C’était en… 1981 !
Et pour une de mes premières rencontres j’avais été envoyé à la rencontre de Claude Michelet, dans sa ferme, sur les collines au sud de Brive en Corrèze.
Michelet, le pionnier de ce qu’on allait appeler « l’école de Brive ». Un groupe d’écrivains racontant la mémoire du terroir. Michelet avait ouvert le sillon, il y eut Michel Peyramaure qui vira au roman historique, Christian Signol qui, après Michelet, devint le plus capé de la bande sans trop vraiment se soumettre à ses rites, Jean-Guy Soumy, Gilbert Bordes, Denis Tillinac, Jean-Paul Malaval. C’est l’éditeur Jacques Peuchmaurd de la maison Robert Laffont qui eu l’idée de cette dynamique de groupe. Et la grand’messe avait lieu une fois l’an, c’était à la foire du livre de Brive sous la halle Georges-Brassens avec l’onction des lecteurs. Certes une partie du groupe se rebella en refusant l’étiquette trop restrictive ou péjorative de « romans de terroir » pour lancer en 2008 la Nouvelle Ecole de Brive.
Mais peu importe, ce filon a eu un incroyable succès au long des années 1980, il a fait les belles heures de la télévision avec le feuilleton tiré de la trilogie de Michelet Les Palombes ne Passeront plus, Des Grives aux loups et L’appel des Engoulevents.
Lorsque j’allais voir Michelet il était au plus haut de son succès et il avait bousculé l’image traditionnelle de l’écrivain. En effet ce fils de bonne famille (son père fut une grande figure du gaullisme, plusieurs fois ministre, rescapé des camps de la mort) refusa la voie des grandes écoles qu’on lui traçait pour devenir agriculteur. Ce choix de la terre, il le racontera dans plusieurs livres avant de mener deux activités. Il disait « j’ai deux assolements, mon troupeau de vaches limousines et la littérature ».
J’étais allé le voir un jour de pluie. Heureusement, sinon il eût été dans ses champs. Et l’interview qui suit a été publiée en septembre 1981…
Claude Michelet vous avez choisi le retour à la terre. Pourquoi ce choix ?
Ce n’est pas un retour. Moi étant citadin de naissance, j’ai choisi la terre pour en faire ma profession. Mais j’avais déjà arrêté cela qu’en j’avais 12 ans. J’étais peut-être en avance sur la mode. La propriété que j’exploite est une propriété de famille dans laquelle nous avons passé une partie de la guerre. C’est là que j’ai découvert la terre, j’ai continué à mieux la connaître au travers de toutes mes vacances. Et sans doute les sept ans que j’ai passés à Paris n’ont pas été étrangers à ce choix. C’était Paris ou la campagne. Comme j’avais découvert les deux aspects de cette forme de vie j’ai choisi l’agriculture.
Si on revient au choix ; lorsque j’étais lycéen je garde le souvenir de quelques entrevues orageuses avec un de mes directeurs d’école à Paris qui me prenait pour un taré. Même dans mon entourage et dans ma famille, mes parents se demandaient dans quelle mesure c’était sérieux. Ils ont très vite compris que ce n’était pas une passade. Et ils m’ont aidé. C’est pour cela que j’ai fréquenté une école d’agriculture.
Et il y a l’écriture. Existait-elle déjà à l’âge de 12 ans ?
Ah non ! L’écriture est venue plus tard, dix ou douze ans après. Mais il y a toujours eu de ma part un goût très poussé pour la lecture. On commence par lire, on aime ce qu’on lit, le roman… un jour on se dit pourquoi ne pas essayer moi-même.
Dans J’ai choisi la terre, vous écrivez que ce retour a été possible et qu’il est possible pour d’autres. La terre aujourd’hui a-t-elle besoin d’un avocat comme vous ?
Je ne me suis pas senti un avocat. Mais on se trouve investi d’une mission par les lecteurs. Et qu’ils aient trouvé en moi l’avocat d’une certaine cause de l’agriculture, c’est probable. Parce que j’ai essayé de les défendre, de les présenter, j’ai essayé de faire d’eux un portrait le plus objectif possible. Alors eux m’ont parachuté comme avocat.
Vos romans sont une sorte de plaidoyer pour une manière de vivre. Est-ce d’abord la conséquence de votre expérience de citadin et de ce rejet de la ville ?
Ce n’est pas du tout dans ce but que j’écris mes romans. Je me suis aperçu que dans la littérature française qui traite du problème des agriculteurs, soit on est resté aux paysans de Zola, soit aux paysans de Giono, c’est-à-dire le poète intégral, mais dans presque tous les cas on a fait dans le misérabilisme. En littérature la paysannerie française s’arrête à l’âge de la faux et nous en sommes à celui de la moissonneuse-batteuse. Cela me gênait. Pour le citadin qui avait cette vision, entre lui et son arrière-grand-père il y avait un trou qu’il fallait essayer de combler. C’est pourquoi j’ai écrit Des Grives aux loups qui est l’histoire d’une famille depuis le début du XXè siècle, pour essayer de faire comprendre une évolution, une progression, un changement de mentalités. C’est une présentation et non pas un plaidoyer pour un mode de vie. S’il y a une chose dont je me méfie, c’est de dire « c’était le bon temps jadis ». En tant qu’agriculteur je peux dire que c’est faux ! Moi qui ai commencé dans un pays pauvre, où la mécanisation est venue tardivement, je peux vous assurer que je ne crois pas à la belle époque de la moisson à la faucille et à la faux.
Donc ce n’est pas la quête d’un âge d’or…
Certainement pas. Je ne suis pas du tout passéiste. L’âge d’or, si tant est qu’il existe, il est peut-être devant nous. Il est tel que nous le ferons. Mais dire « c’était le bon temps jadis » c’est du passéisme à l’état pur qui me semble stérile. Je ne crois pas que le propre de l’homme ait été de dire « mes ancêtres étaient supérieurs à nous ». Si on avait dit ça, on en serait toujours à l’âge des cavernes. Donc mes romans ne glorifient pas une époque, ils la présentent.
Vous sentez-vous en rupture avec un courant d’écrivains qui depuis le début des années 1970 a glorifié le temps jadis dans des romans qui sont des sagas rurales ?
Je trouve que pour un écrivain il est trop facile de faire dans le sentimentalisme ou le misérabilisme. Je crois que les ruraux ne sont pas outrés dans leur caractère. Le stéréotype auquel une certaine littérature nous a habitués a défavorisé la présentation du monde rural. Je ne vois pas pourquoi on fait des stéréotypes d’une civilisation rurale à une époque donnée en disant c’était noir ou c’était blanc. Il est trop facile de ne prendre qu’une couleur de l’arc-en-ciel. Vue sous cet angle je peux me sentir en rupture avec certaines formes de littératures. Je maintiens que le paysan sordide ou le paysan poète, tels qu’on nous les a dépeints, m’ont agacé à tel point que j’ai voulu faire le paysan tel que je le connais et il y a plus de trente ans que je le fréquente.
Mais partagez-vous ce besoin fortement exprimé ces dernières années, celui d’être de quelque part, celui des racines ?
Je n’ai pas à le partager, j’ai toujours été de quelque part. Je n’ai jamais été déraciné. Si les gens ont retrouvé leur identité à travers mes livres, c’est tant mieux. La recherche de l’identité c’est un problème qui ne me concerne pas personnellement. Mais toutes les notions de gens déboussolés, déracinés, je les comprends parfaitement.
Comprenez-vous la revendication régionaliste. Les Bretons par exemple. Ici en Corrèze on pourrait évoquer les Occitans…
Oui, je la comprends. Mais je crois que la revendication de l’identité c’est une tarte à la crème. On ne sait plus à qui on a à faire. On ne sait plus si ça se base d’un point de vue politique, culturel ou économique. Je comprends très bien que des gens d’une région donnée y soient très attachés. Et je le suis. Où m’échappent les revendications, c’est quand ça devient hargneux, quand c’est presque un appel à la scission. Tout ça me paraît farfelu parce qu’irréaliste et pas sérieux. Par exemple qu’est-ce que ça veut dire « Libérez l’Occitanie ! » ? Moi je pars du principe qu’il a fallu lutter douze à quinze siècles pour faire une nation qui s’appelle la France, que je trouve très à mon goût et je trouve grotesque de vouloir faire scission de cette nation, surtout à l’approche de l’an 2000. En tant qu’agriculteur je suis directement concerné par le Marché Commun. Il est déjà très difficile de faire travailler ensemble des nations. Il faut voir le cirque du Marché Commun où chaque pays essaie de tirer la couverture, alors si en plus on vient y greffer des querelles de clochers, on va finir à la catastrophe. Cela dit il faut défendre sa région. Mais il y a des moyens de le faire sans pour autant réclamer une indépendance économique et politique.
Revenons à vos romans. Dans le village de Saint-Libéral une grande place est donnée à la vie de la communauté. Ce lien est-il définitivement perdu ?
Je crois sincèrement que la vie des villages de jadis s’articulait autour des contacts humains. Ceux-ci se faisaient soit par l’entraide, soit par la conversation. A l’heure actuelle ce mode de contact ne se fait plus ou n’existe plus. J’ai donc insisté sur ce fait qu’il y avait une communauté de village, il y avait même un chauvinisme de village.
Pourtant dans le village de vos romans vos personnages s’épient, se surveillent. N’est-il pas tant d’écrire une suite pour un village meilleur ?
Il ne faut pas pousser à l’utopie. Dans l’immédiat il n’y aura pas de suite. Il faudrait la faire partir en 1968 et c’est encore une période trop proche, pas assez décantée, mais s’il y a une suite la mentalité aura complètement changé. Mais les gens seront-ils socialisés pour autant ? Je ne le crois pas. Au contraire, plus on va aller, moins les villages seront socialisés. On est en train de faire des villages de nouvelles cités-dortoirs.
A la fin du roman Les palombes ne passeront-plus il y a un couple qui se moque de l’heure. Est-ce aujourd’hui un privilège des gens de la terre de ne pas regarder la montre ?
Je crois que dans ce cas précis, le plus important c’est le moment que l’on vit. Vivre intensément la minute présente m’apparait comme très important. Et surtout quand on a atteint l’âge des personnages auxquels vous faites référence. Si on n’a pas atteint cette sérénité à 80 ans, on ne l’atteindra jamais.
Vous venez de rééditer votre premier roman La Grande Muraille. Si je vous dis que c’est un roman très pessimiste…
Ecoutez, un jour dans la campagne, pas loin d’ici, je suis tombé en admiration devant un gigantesque mur en pleine forêt. J‘ai appris qu’un brave homme avait passé sa vie à faire ça. Et j’ai trouvé ça tellement inutile, ça sert à rien, que j’ai bâti un roman. Le travail de cet homme m’a paru presque l’image de la condition humaine. Chacun fait sa vie comme il l’entend et il la réussit justement parce qu’il fait ce qu’il a envie de faire. Il va passer pour un cinglé bien entendu, mais ça n’a aucune importance. Il a fait cette espèce d’œuvre dantesque peut-être pour lui tout seul, en égoïste, mais pour se réaliser. Et j’ai trouvé ce summum de l’inutile très important.
Interview Bernard Stéphan (septembre 1981)