Villages d'oc, mots d'oc: Belvès.- Cette semaine nous voici à Belvès, gros bourg perché au-dessus de la vallée de la Nauze, classé parmi les "Plus beaux villages de France". Le site a été occupé par l'homme depuis bien longtemps, le sommet de la colline (terme, pech, suc, tuc, en occitan) permettait d'organiser facilement un système de défense. Le secteur dit du Castrum est bâti depuis le XIè siècle alors qu'on a trouvé des traces d'occupation depuis le IIIè siècle av.J.C. Pour découvrir la cité on se positionne sur la place d'Armes elle-même occupée en son centre par la halle du marché( lo merca en occitan).
Celle-ci date du XVè, agrandie au XVIè, le sol est en pisé. On note sur les poutres de la charpente l'usure laissée par les cordes des bouchers qui suspendaient là les carcasses des bêtes à découper. De cette place on va balayer les alentours du regard parce que c'est toute une architecture qui se déroule là avec la Tour des Fillols, la Tour de l'Archevêque et le porche d'accès au Castrum.
On s'engage dans cette rue étroite du Castrum (la carrière de l'occitan carriéra pour rue) et on ne manquera pas de voir sur la droite une maison néo-gothique du XIXè sicle et une originalité, sur un mur vers le milieu de la rue Rubigan, les vestiges de l'éclairage public que l'allumeur entretenait avec un système de treuil.
Cet éclairage était un quinquet à réverbère ou lampe à la quinquet mis au point en 1795 pour l'éclairage de Paris par un certain M Quinquet. Le long de cette rue on trouvera, perpendiculaire, une andronne (de l'occitan androuno, androun en limousin, androuio en parler niçois) , ou carreyrou, pour espace très étroit entre deux maisons, jouant le rôle de coupe-feu. Sur l'esplanade de l'Auditeur vous serez au plus haut du Castrum sur la vallée. Derrière vous, la tour de l'Auditeur (XIè siècle) est l'ancien donjon du castrum. Au hasard de vos déambulations vous vous souviendrez à Belvès de Guy de Lanauve, romancier (1895-1971), Pierre-Félix Lapalisse, marin, volontaire pour la guerre d'Indépendance des États-Unis qui combattit sur l'Hermione. Il termina capitaine de vaisseau. Youki Foujita-Desnos (1903-1963), égérie de Montparnasse pendant les Années folles, est enterrée dans le caveau de la famille Vigier-Espinouze. Elle fut en effet la compagne du peintre surréaliste Henri Espinouze (1915-1982). Modèle adoré du peintre Foujita, il la surnomma Youki (Neige) et l'épousa. Ultérieurement elle fut la maîtresse du poète Robert Desnos à partir de 1930.
De nombreux lieux-dits de la commune ont des racines occitanes. Ainsi Le Bugassou (de bugado ou bujada lessive pour lieu en eau ou lieu où l'on rinçait la lessive) , Capelou (de capel, chapeau ou cap pour tête, pour colline), Lascaminade ( de l’article las pour le pluriel et caminar pour cheminer ou camin pour chemin), Palou ( de pal pour piquet et par extension pousses d'arbres, taillis), Le Pinier ( de pinièro pour bois de pin, le pinier étant le grand pin maritime), Les Vaysses (de vaisso pour coudrier, noisetier, donc le bois de noisetiers).
Le toponyme Belvès renvoie à l'association Bel (pour belle) et véser (voir). Dans sa forme occitane il s'écrit BELVéS et se prononce [bɛl’βe] belvé.
Nous poursuivons notre visite par la place Biraben qui fut jadis le marché aux volailles et notamment aux oies (auca en occitan, aucou pour petite oie). Vous prendrez la rue des Fillols pour passer devant un exceptionnel hôtel particulier, l'Hôtel Bontemps qui est une très ancienne maison noble du XIIè siècle dont la façade Renaissance a été plaquée sur le bâtiment en 1520. Il faudra rejoindre ce qui fut la grand rue (la carrière de l'occitan carriéra) et qui est l'artère commerçante magnifiquement restaurée, la rue Jacques-Manchotte.
En passant par la traboule
Face au n° 34 prenez sur main gauche cet étroit passage entre et sous les maisons ; la rue Merdanson qui est aussi appelée la Traboule (de l'occitan trabola, et on utilise le verbe trabouler pour passer d'une rue à l'autre), vous êtes vraiment dans l'époque médiévale. Vous sortirez de la traboule en passant sous les murs du château, fermé aujourd'hui car résidence privée. Des peintures murales (XVè siècle) ont été récemment mises à jour dans certaines pièces de ce bâtiment. Il s'agit d'une fresque murale représentant les Neuf Preux dont le style n'est pas sans rappeler l'esprit de la Renaissance italienne.
Ne quittez pas le secteur sans avoir visité les habitations troglodytes, dans la falaise, sous l’entrée du Castrum. Cet habitat est attesté par une occupation humaine du XIIIè au XVIIIè siècles au moins. Mais elles ont été colonisées à plusieurs époques et notamment durant la préhistoire une première fois et l'antiquité une seconde fois. Aménagée aujourd’hui, elles reconstituent ce que pouvait être la vie quotidienne de cette population très pauvre qui habitait dans les souterrains du Castrum.
Nous ouvrons à nouveau le cadastre de la commune de Belvès pour poursuivre notre investigation des toponymes à racines occitanes des lieux-dits : Le Bos (de bos pour le bois, du vieux français bosk pour buisson) , La Capelette (composé de Capel pour chapeau, colline et du suffixe ette qui a valeur de diminutif. Donc la petite colline), Le Pelonnier (de l'occitan pélou pour bogue de châtaigne et par extension pour bois de châtaignier), Pech Gaudou (de pech pour colline et gaudo ou gaulo pour une herbe jaune, des chaumes).
Découverte de fresques exceptionnelles dans l'église
Pour cette troisième et dernière étape vous n'échapperez pas à l'église, un peu à l'extérieur de la ville ancienne, qui est construite sur un promontoire. Cette église construire sur l'emplacement d'une ancienne abbaye a été érigée en prieuré à la fin du IXè siècle. L’ensemble passe aux mains des moines de Cadouin au XIIè siècle. Après une longue période de troubles durant la guerre de Cent ans, des destructions, l'ensemble sera reconstruit au XVè siècle.
C'est ultérieurement, au cours de nouvelles campagnes de travaux, aux XVIè et XVIIè siècle qu'un décor intérieur très riche sera peint sur les murs. Ces peintures murales ont été retrouvées, exhumées et restaurées au cours d'une récente campagne de travaux qui s'est achevée en 2017. Les guides locaux parlent d'une chapelle sixtine du Périgord noir ! Il ne faut pas exagérer et pourtant l'ensemble est exceptionnel. On y voit par exemple une mise en scène de St François de Salle ou Saint-Pierre prêchant, etc.
Vers Notre-Dame de Capelou
Lorsque vous quitterez le bourg de Belvès vous devrez passer par Capelou, à quelques temps de là. L'architecture n'y a rien d'original, une église d'un néo-gothique du XIXè siècle dressée sur une clairière de la forêt de la Bessède. Capelou (le toponyme renvoie à Capel pour chapeau ou bute). Mais Capelou c'est un grand lieu de pèlerinage catholique en Périgord voué à la vierge. L*Ce pèlerinage à la Vierge, près d'une source est très ancien, il est attesté dans le Haut Moyen-Age, il est mentionné dès 1153. Mais il est relancé au XIXè avec la reconquête catholique et la construction de l'église à partir de 1860. Chaque année une neuvaine est organisée qui s'achève avec le pèlerinage du dimanche de septembre, compris entre le 8 et le 15 mois.
La commune de Belvès est vaste. Ce qui permet de feuilleter encore le cadastre à la recherche des toponymes à racines occitanes. La Crout (de crous ou crou, pour la croix, le calvaire) Faurie (de faurié ou faurio pour la forge. Peut aussi renvoyer à une zone riche en minerai de fer). Petit Castang (pour petit châtaignier), Casse (pour chêne qui devient cassi en bordelais, cassou en gascon et chaïné en limousin), Magnanie (de magnanièro, lieu où on élève des vers à soie), rue du Barris (de barris ; le faubourg).
Ainsi s'achève notre découverte de Belvès...
* Cette chronique est un rendez-vous hebdomadaire de RVB (Radio Vallée Bergerac) diffusé sur 96,3 MHZ à Bergerac et alentours durant la saison 2018-2019.