Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Periberry

Ethnologie, Berry, Périgord, Auvergne, Bergerac, Dordogne, Loire, tradition orale, mémoire paysanne, recherche sur le paysage, randonnées pédestres en Auvergne et Pyrénées, contes et légendes, Histoire.


1914-1918, grands témoins du Périgord

Publié par Bernard Stéphan sur 10 Novembre 2023, 17:44pm

Catégories : #Tradition orale

Sur les Hauts-de-Meuse, le site des Eparges où avait combattu l'un de mes témoins, Justin. (C'est à proximité des Eparges que fut tué l'écrivain Alain-Fournier en septembre 1914). (Ph. B.S.)

Sur les Hauts-de-Meuse, le site des Eparges où avait combattu l'un de mes témoins, Justin. (C'est à proximité des Eparges que fut tué l'écrivain Alain-Fournier en septembre 1914). (Ph. B.S.)

Mes témoins de 14-18.- L’enfance dont je vous parle me renvoie dans les années 1960 ; dans un village du Périgord. Au sud du département de la Dordogne. A la grande table familiale, celle des repas du quotidien, mais plus encore des déjeuners du dimanche avec la famille élargie et des « tauladas », les grands repas de la ferme avec les voisins, les aides, la parenté, les gens de passage, on y parlait des guerres. La plus récente, certes, nombreux étaient les convives qui avaient été pour les uns prisonniers de guerre et pour les autres dans les maquis. Ici on n’était pas loin des bois des Carbonniers, de la forêt de La Bessède, du maquis de Roumaguet et de Trappe, du maquis des Foulissards,  plateaux aux vastes de taillis de châtaigniers et de chênes. Là, sous les couverts forestiers, des maquis se sont organisés pendant une grande partie de l’Occupation, c’est même dans ce secteur, près de Bourniquel, que fut aménagé un des principaux champs de parachutage d’armes « aux maquis » en Périgord.

La deuxième guerre donc… mais aussi la première. C’est de celle-là dont je veux parler aujourd’hui. Autour des tablées j’ai le souvenir de deux ou trois convives réguliers, anciens poilus de 14-18. Mais aussi d’autres témoins, de propos rapportés et d’histoires mêlées.

Plaque sur le monument aux morts de Biron au sud du Périgord. (Ph. BS)

Abel, combattant de Verdun.- Le vieil Abel. Agriculteur au village fontainier voisin. Le vieil Abel avait « fait » les Ardennes belges et Verdun. Il avait rejoint son régiment, le lendemain de la mobilisation à Bergerac, le 108è régiment d’infanterie. C’est un certain colonel Aurousseau qui était à la tête du 108è RI au moment du départ pour le front, en août 1914. Il ne survivra pas longtemps, il est touché mortellement par une balle ennemie le 8 septembre, au moment du début de la bataille de la Marne. Le vieil Abel passa par plusieurs autres champs de bataille dont Verdun. Il parlait peu de sa guerre. Quelques confidences, quelques mots pour dire ses cauchemars, le bruit des obus, les cris dans les tranchées. Il avait gardé le silence. Jamais il n’avait participé à une cérémonie devant le monument aux morts du village.

Léa, ma tante, veuve de 14.- Elle habitait Bergerac. La tante Léa était si discrète.  Elle avait épousé en seconde noce l’oncle Jean. Un ancien ouvrier de la poudrerie de Bergerac. Il était né dans le bas-Limousin près de Saint-Yrieix-la-Perche en Haute-Vienne. Et avait commencé son apprentissage aux forges de Savignac-Lédrier, dans le haut-Périgord. Il consacrait sa retraite à quelques passions épicuriennes, la pêche, la chasse, le jardin potager, la cueillette des champignons, les charcuteries familiales à la ferme et la lecture. Tante Léa parlait peu de son premier mari Léon, mort sur le front de Beauvais, tué le 25 septembre 1915. De lui elle avait eu un fils, juste né pendant l’été 1914, quelques jours avant la mobilisation. Le corps de Léon comme tant d’autres, n’avait pas été rendu. La famille avait reçu une blague à tabac et la pipe du défunt. Comme seuls souvenirs. Quant à l’oncle Jean, qui n’avait pas fait de guerre, il poussait la chansonnette à la fin des grands repas de la ferme ou aux tablées de famille pour les chasses ou la fête votive. Et c’est ainsi qu’invariablement il entonnait ce chant de cabaretiers de la Grande Guerre :

«  0 pinard, ô merveille/ Que j’aime écouter tes petits glouglous/ Divin jus de la treille/ Viens buvons un coup, buvons un coup ! »

Louis de Gilet.- Voici un compatriote qui, comme tant d’autres, dans ce Périgord méridional, était connu dans le pays pour son pseudonyme. Il était affublé d’un « chafre », vieux mot du français régional venu de l’occitan « safré » qui par la palatisation de l’occitan du Limousin se prononçait « chafré » et désignait le pseudonyme. Louis de Gilet donc… Plus personne ne savait pourquoi il portait ce chafre. Mutilé de la Grande Guerre du bras gauche, Louis de Gilet, vivant probablement d’une petit pension, cultivait son  potager et participait à tous les travaux des fermes alentours, dans la mesure ou son handicap de l’empêchait pas. C’est ainsi qu’il aidait aux vendanges, à la cueillette des pommes à cidres, au ramassage des épis de maïs, etc. Il avait été blessé dans les combats de Vauquois, sur l’Argonne, le 17 février 1915.

Alban, dit Alban du pont.- Surnommé ainsi parce qu’il habitait la maison proche du pont, sur la rive gauche de la Dordogne. Alban montait à la ferme pour les vendanges et la cueillette des épis de maïs. Il était un vétéran de la Grande Guerre. Il était parti sous les couleurs du 108è R.I. de Bergerac avec un premier engagement en Belgique avant la retraite et la participation à la bataille de la Marne. A table il s’asseyait à côté de mon grand-père paternel. Qui était de l’autre guerre. Puisqu’il avait été engagé dans les Vosges en 1940 avant d’être prisonnier de guerre, affecté dans des fermes en Silésie.  Nous les regardions de l’autre bout de la table avec ce commentaire ; toujours le même : « Ils sont entrain de gagner les guerres. »

Joseph jambe de bois.- Il ne venait pas à la ferme. Joseph jambe de bois, c’est ainsi que nous, écoliers, l’appelions, arpentait ainsi le petit bourg, il passait au rythme de son pas martelant la chaussée sur la ruelle entre l’école communale et l’église. Lui aussi était parti en 1914, appelé sous les drapeaux au 108è R.I. de Bergerac. Il avait eu un parcours assez similaire à celui d’Alban du pont. Grièvement blessé pendant la première bataille de la Marne, il y avait perdu une jambe. Il avait un expression qui revenait comme un leit motiv : « J’ai payé ! J’ai payé ! » Il était toujours, chaque 11 novembre, au premier rang devant le monument aux morts. Exemple vivant de ces poilus dont ne manquait pas de nous parler, chaque année, l’institutrice de la classe unique de notre école communale.

Louise, qui était allée au ciel.- Vieille célibataire, catholique pratiquante du quotidien, partant souvent avant l’aube du hameau fontainier pour rejoindre le bourg, à trois kilomètres de là, pour être présente à la messe du matin. « Louise a dû aller au ciel déjà ! », commentions-nous, écoliers, les jours de messe. Elle ne manquait jamais une cérémonie devant le monument aux morts. Un de ces 11  novembre elle rompit le silence, s’approchant à grand pas du monument, dans sa capeline noire, récitant à la cantonade ces mots de Victor Hugo, premier  et second paragraphe du texte Hymne :« Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie/ Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie./ Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau./ Toute gloire près d'eux passe et tombe éphémère ;/ Et, comme ferait une mère,/ La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau ! / Gloire à notre France éternelle !/ Gloire à ceux qui sont morts pour elle !/ Aux martyrs ! aux vaillants ! aux forts ! À ceux qu'enflamme leur exemple,/ Qui veulent place dans le temple,/ Et qui mourront comme ils sont morts ! »

Pierre, de la Territoriale.- Il avait 40 ans en août 1914. Mobilisé lui aussi. Arraché à sa métairie voisine de la Cabane du Père Coutou, dans une clairière de la forêt des Divises. Mobilisé dans la Territoriale.  Il n’avait pas été combattant, mais obscur manouvrier pour creuser les tranchées, posé les caillebotis, tirer les barbelés. A partir de 1916 il quitta les lignes de front pour être envoyé très loin à l'arrière, au nord de l'Auvergne, dans la forêt de Tronçais, dans un atelier de charpenterie de tous les bois nécessaires pour l'aménagement des tranchées, dont la fabrication des poteaux de mines. Une guerre de bûcherons loin de la canonnade. Dans son cantonnement forestier, les blessés requinqués, mais pas suffisamment pour remonter en ligne, étaient affectés là pour bûcheronner. Quand je l'ai connu il avait 90 ans et tous ses souvenirs. "Tu vois petit, la guerre, c'est pas beau, c'est pas beau...", commentait-il avec un ton d'une extrême tristesse.

Justin, dit "Justin le jeune".- Il avait  20 ans et il fut le premier avant tous, sur le plateau de ces hameaux du Périgord, à avoir une bicyclette. "Pour aller courir les bals", disait-il. Routes blanches, chemins minés d'ornières, vicinales étroites aux pierres tranchantes, qu'importe; Justin le jeune n'aurait jamais manqué un bal du dimanche dans quelque grange d'une métairie de ces coteaux d'entre Dordogne et Couze, ou dans un  village quand venait le temps des fêtes votives, les fameuses votes annuelles. 20 ans et la mobilisation. Il racontait ses cantonnements de l'arrière, lui qui fut dans un régiment d'infanterie et monta souvent sur la ligne de front des Eparges avant d'être affecté dans une section de liaison à bicyclette."Le boche il savait se planquer et faire parler le canon. Mieux que nous. Heureusement on a eu l'arrivée des amerloques ! Heureusement !" Il avait participé à la bataille des 22 et 23 mars 1918, celle qui résista à l'offensive allemande, entre Compiègne et Ham. Sa dernière campagne le mène dès avril 1918 jusque vers Épinal, toujours en vélo. 

Photos.- Les principales photos de cet article sont des vues des plaques apposées sur le monument au mort de Biron en Dordogne. (Ph. B.S.)

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents