En pétales de roses les coussins d'amour de la jonchée d'un mariage à Biron (Dordogne) en juillet 2016. Par ailleurs photo de la porte de l'église de Pontours (Dordogne) avec ses piniers décorés (il s'agit de deux genièvres), sa jonchée et sa couronne de porte au début des années 2000. (Photos B.S.)
Les jonchées des mariages.- Voici un rituel qui fut commun des mariages en Périgord jusqu'au milieu des années 1960 et qu'on retrouve ici ou là. J'ai pu l'observer fin juillet 2016, dans le village de Biron, au sud du département de la Dordogne, à l'ombre de l'imposant château qui domine ce bourg ouvert sur les horizons du Haut-Agenais. Ce rituel c'est la jonchée faite de végétaux, qui marque le chemin mais aussi le parvis de l'église ou de la mairie ou un autre lieu qui sera une étape des mariés. En quelques questions et réponses, explications de ce rituel revisité.
Cette jonchée est en occitan (languedocien) l'enramada que l'on désigne par joncada en occitan périgourdin méridional et jonchada dans le nord du Périgord.
La noce suivait (suit) un chemin, est-ce donc ce chemin qui était exclusivement décoré ?
Oui, le chemin de la noce est le chemin de la fête. On retrouve donc la très ancienne ritualisation des processions avec le sol recouvert d'une mise en scène végétale avec pétales de fleurs, feuillage, rameaux et quelquefois des fruits, etc. C'est un élément esthétique même s'il renvoie plus loin à cette idée que dans certaines circonstances les participants à une cérémonie, en l'occurrence une jeune fille vierge, ne devaient pas toucher le sol. Ceci renvoie à certaines cultures et civilisations ou dans la ritualisation du mariage la jeune femme ne doit pas toucher le sol et est portée par exemple dans un palanquin (dans l'ancienne Chine), à dos d'animal (chameau ou cheval) en Égypte, dans l'ancienne Perse, dans les villages des montagnes du Maroc, à dos d'éléphant en Inde.
Donc dans les villages de nombreuses régions de France on recouvre symboliquement le chemin d'une « couverture » végétale, cette fameuse jonchée...
Oui, c'est une couverture symbolique et c'est une décoration réelle. Mais on n'est pas loin de le jonchée que l'on trouvait pour le décor de certaines grandes processions religieuses d'antan comme la Fête Dieu ou les Rogations.
N'oublions pas que le mariage est à classer parmi les grands rites de passage de la vie au même titre que le baptême, et autrefois la conscription pour les garçons, etc. Et dans le rite de passage, la procession, la marche, qui va de la maison de la mariée jusqu'à la mairie et à l'église, est bien l'acte du passage, le temps réel du passage. C'est donc ce moment du passage qui est ainsi décoré, souligné, par la jonchée fleurie.
De quoi se compose la jonchée ?
En Périgord la jonchée est faite de végétaux, pétales de fleurs, feuilles d'arbres, rameaux, mousse. Elle peut être plus ou moins dense. Dans le cas de la jonchée que j'ai observée fin juillet dernier à Biron, il s'agissait d'une esquisse très symbolique puisque le chemin était simplement marqué de quelques pétales de fleurs, en revanche bien ponctué par des cœurs de fleurs très travaillés, les fameux coussins d'amour. Cette coutume de la jonchée végétale était commune en Périgord, en Gascogne girondine et landaise et dans une partie de l'Agenais.
Y avait-il des végétaux interdits ?
Oui car ils pouvaient porter des messages d'insultes ou de reproches à la mariés. C'est ainsi que le lierre et la bruyère qui sont des plantes du mauvais œil étaient interdites. De même l'herbe de motogoth ou la matago qui est dite l'herbe du diable. En Périgord, l'abbé Georges Rocal qui a enquêté sur les usages ritualisés du début du XXè siècle indique que le buis non bénit était aussi un interdit végétal de la jonchée. Par ailleurs lorsque la jonchée était mise en place la veille de la noce, quelques mains anonymes pouvaient y glisser nuitamment quelques épis de maïs ou tout autre légume (carottes, poireaux) ayant une forme phallique. Pour rappeler à la communauté que la mariée « avait connu l'homme » selon une expression bien périgourdine. Si on y trouvait des plumes, c'était un message pour désigner la paresse du marié. Bien entendu les personnes chargées de la décoration (c'était toujours des femmes) faisaient toujours une inspection de la jonchée pour éliminer de tels messages.
Outre la jonchée y a-t-il d'autres éléments végétaux décoratifs du mariage ?
Il y a les arbres qui décorent l'entrée de la maison de la mariée ou le chemin qui mène à cette maison. Ces arbres sont en général plantés de part et d'autre de l'entrée principale ou du chemin, ils sont décorées de fleurs et de rubans. Ce sont des petits pins, les piniers, ou des genièvres. Jusqu'au milieu du XXè siècle ces arbres étaient souvent non seulement plantés aux abords de la maison de la mariée (la novia) mais aussi du marié (lo novio). Et cette décoration était à la charge des voisins (les plantaïres) qui dans l'esprit de la vie communautaire participaient ainsi à un temps fort de la vie d'une famille. Un autre élément important de la décoration était la couronne accrochée sur le parvis de l'église, sous la voûte de la porte principale d'entrée et de passage du cortège et quelquefois sous la voûte d'entrée de la mairie. Cette couronne était de fleurs naturelles ou en papier et en tissu d'organdi.
Et après le mariage ?
Après le mariage on laissait le décor passer son temps, et le temps faire son œuvre. Mais jadis, pour remercier tous ceux qui avaient plus ou moins participé à la réussite de la cérémonie, pour fêter les voisins et les copains qu'on n'avait pas invités aux agapes puisque réservées aux familles, on plantait le mai d'hommage au nouveau couple. Il s'agit d'une ritualisation que l'on retrouve encore pour la plantation du mai aux élus. Les groupes de voisins et de jeunesse venaient planter un pinier décoré devant la maison des novios. A charge pour eux de fêter cette joyeuse bande avec forces breuvages et gourmandises.